Tunisie. Violences salafistes : le déni de réalité de la troïka

 Tunisie. Violences salafistes : le déni de réalité de la troïka

Au Palais de Carthage


Annoncée pour hier mardi, l’intervention conjointe des 3 présidences a finalement eu lieu aujourd’hui. Après d’interminables tergiversations et la mise en place d’un couvre-feu, le trio Marzouki – Jebali – Ben Jaâfar a réagi au nouveau défi sécuritaire que posent salafistes et casseurs par un texte surprenant, mettant en cause essentiellement l’ex RCD, l’ancien régime, une partie de l’opposition, et « ceux qui ne veulent pas de la réussite du gouvernement et de la révolution ».




 


Ambiance aussi solennelle que tendue à la mi-journée mercredi au Palais de Carthage où la troïka au pouvoir a choisi de mettre en avant l’image d’une coalition unie, parlant d’une même voix pour répondre à la première crise d’envergure de son mandat.


La forme elle-même entend faire sens : il s’agit de montrer à ceux qui comptent déstabiliser le gouvernement qu’ils ont produit l’effet inverse. Mais après un silence intrigant pour les Tunisiens, le trio dirigeant a déçu les uns et scandalisé les autres par le contenu de sa courte allocution aux accents de « déjà-entendu ».


 


Une rhétorique reprenant point par point celle de Rached Ghannouchi 


Après une brève introduction de Moncef Marzouki sur les circonstances de la réunion de crise des 3 présidences, le président provisoire laisse la parole à son porte-parole et conseiller Adnène Mnasser, une façon d’éviter de s’approprier une production collective.


Néanmoins, à écouter attentivement le propos du discours et l’argumentaire invoqué, beaucoup se demandent si le véritable auteur de cette adresse au peuple n’était pas ailleurs que dans la pièce.


Ceux qui avaient assisté en direct, la veille, à la tout aussi attendue réaction de Rached Ghannouchi à l’escalade de la violence, auront en effet noté la troublante similitude, jusque dans le fil des idées, entre la position du leader d’Ennahdha et celle lue par Mnasser aujourd’hui.


Sur le mode complotiste du « à qui profite le crime », Ghannouchi avait expliqué que  les auteurs des dernières violences ne peuvent être que ceux qui souhaitent l’échec du gouvernement : « Au moment où la situation du pays s’améliore et que le gouvernement s’apprête à mettre à exécution son plan de développement, les déçus des dernières élections, les restes du RCD et les nostalgiques de l’ancien régime tentent d’entraver le travail du gouvernement et de nous pourrir la vie », s’était-il exclamé.


Autre mimétisme rhétorique, dans un cas comme dans l’autre, on a parlé « d’ennemis de la révolution ». Difficile de ne pas y voir un sophisme bien connu des opposants de Ben Ali, lorsque celui-ci taxait tout discours divergent de « trahison à la nation ».


Ainsi l’opposition est appelée à être « responsable » et patriote et à allier ses efforts à ceux de la gouvernance.


 


Une diversion


Alors que le pays est mis à feu à sang par quelques milliers de salafistes entraînant avec eux des casseurs, que des tribunaux sont brûlés, des bars forcés à fermer, un couvre-feu rétabli et des intellectuels et artistes menacés par des gens que l’on sait armés, le pouvoir pointe du doigt le plus commode des ennemis fantômes : la main invisible du RCD dissout.


Plus problématique encore que ceux qui parlent au nom de la révolution, un autre discours bien plus répandu s’exprime au nom du peuple pour affirmer que « les sentiments et la foi du peuple ont été bafoués ». 


On stigmatise donc au premier chef les artistes, cette fois ceux ayant exposé au Palais Abdellia pour mettre en scène l’intégrisme, accusés de « tentative de fitna », de vouloir semer la discorde. Le postulat de ce raisonnement étant que la société tunisienne vivait dans le plus parfait des « consensus » avant cela, les combats sociétaux et progressistes étant vains. Une manière de censurer le débat démocratique au nom de la stabilité.


Quant aux sympathisants salafistes, ils n’en demandaient pas tant. En affirmant que « le blasphème et l’atteinte à l’entité divine n’entrent pas dans le cadre de la liberté d’expression », les trois présidences viennent de trancher noir sur blanc en faveur de l’une de leurs principales demandes. 


Seif Soudani