Tunisie. Vers une disparition programmée de la gauche tunisienne ?
Avec la décomposition du dernier parti de gauche, Ettajdid, un parti vieux de 80 ans, au profit d’une entité capable de rivaliser dans les urnes avec la déferlante Ennahdha, sommes-nous en train d’assister à la chronique d’une disparition annoncée de la gauche tunisienne ?
C’était un secret de polichinelle. Le congrès fondateur du nouveau « Grand Parti du Centre » vient d’être officiellement reporté. C’est Maya Jribi, secrétaire générale du PDP, qui la première l’a annoncé hier lundi dans l’après-midi, suivie d’Afek Tounes.
Initialement prévu les 17, 18 et 19 mars prochains à Sousse, il n’aura lieu finalement que les 7, 8 et 9 avril. Selon une certaine langue de bois, un communiqué évoque des raisons d’ordre logistique : « Le souci de préparer au mieux les travaux du congrès de la fusion et celui de disposer de suffisamment de temps pour achever de consulter la base militante ».
En réalité, il s’agissait d’attendre la tenue du 3ème congrès d’Ettajdid du 12 mars, à la veille duquel d’intenses tractations se sont poursuivies tout le weekend, selon nos sources au parti, en vue d’un ralliement à la nouvelle entité centriste. Mais l’échec relatif des négociations ne fait que retarder l’inéluctable.
Le congrès a surtout traité des modalités de la constitution d’un front démocratique progressiste uni. Car c’est sur la forme que les différentes parties butent, la nécessité du rassemblement de toutes les forces modernistes étant acquise en vue des prochaines élections. Les leçons ont été retenues de l’échec face à l’unité de la vague Ennahdha.
Pour autant, le PDP et Afek tenant à leur nouveau positionnement centriste, une fusion supplémentaire signerait la fin du Pôle Démocratique Moderniste, seule entité de gauche restante, déjà remis en question dans son existence par le ralliement du Parti Républicain, une de ses ex composantes, au nouveau centre.
Hors Parti Communiste Ouvrier Tunisien, à l’extrême gauche, cela signifierait que la gauche tunisienne est théoriquement en passe de disparaître, laissant un énorme vide politique et idéologique entre le POCT et le centre-gauche, et confirmant un peu plus l’absence de la social-démocratie du paysage politique tunisien.
Le réseau Doustourna, dernier rescapé ?
Nous savions que le réseau Doustourna avait été également approché par les instigateurs de la grande fusion. Nous avons contacté Jaouhar Ben Mbarek, son leader, pour en savoir plus. Circonspect, il nous a assuré que rien n’était encore officiel à l’heure qu’il est.
« Nous ne sommes pas un parti à proprement parler, nous étudierons la manière la plus adéquate d’aider au rassemblement, tout en préservant notre spécificité de réseau et notre identité politique », nous-a-t-il expliqué. Il a en outre émis des réserves quant au positionnement au centre de l’ensemble de l’opposition.
Face au rouleau compresseur des alliances plus ou moins contraintes, Doustourna ferait donc figure de survivance à gauche, et devra son salut notamment à sa nature-même, avant-gardiste, de structure militante horizontale que rassemblent davantage des idéaux qu’une hiérarchie.
Les traditionnels clivages gauche-droite sont certes en pleine redéfinition en Tunisie et dans le reste du monde, à la faveur d’une dichotomie modernistes / conservateurs, ou encore républicains / populistes, l’ensemble des acteurs politiques s’étant converti à l’économie de marché plus ou moins régulée selon le degré de libéralisme prôné.
Cependant, une gauche en voie d’extinction reste un signal préoccupant au lendemain d’une révolution populaire et à l’aube de la rédaction de la Constitution. Orphelins de partis incarnant un positionnement ni prolétaire ni centriste, les laïcs, la classe ouvrière et une grande partie de la classe moyenne risquent se désintéresser davantage encore de la politique.
Seif Soudani