Tunisie. Vers une Constitution inspirée de la charia islamique ?

 Tunisie. Vers une Constitution inspirée de la charia islamique ?

Habib Khedher a confirmé qu’un article stipulant que : « la charia islamique est une des sources principales du droit »

C’est la phrase sibylline de la semaine. Elle est à mettre à l’actif du juriste Habib Khedher (Ennahdha), fraîchement élu rapporteur général de la rédaction de la Constitution.

 

Interrogé à propos de la fuite sur le net d’un brouillon d’une proposition de Constitution que s’apprête à faire le parti islamiste à l’Assemblée, l’homme ne nie ni n’en confirme d’abord l’authenticité.

Vient ensuite la phrase qui agite depuis hier jeudi web et médias en Tunisie. L’article 10 du brouillon en question stipule que : « la charia islamique est une des sources principales du droit. » Là aussi Khedher confirme à demi-mot : « C’est le plus probable en effet », lorsqu’il est questionné sur la proposition de ce contenu précis.

Ce ne serait pas la première fois qu’Ennahdha opte pour ce mode opératoire officieux du ballon d’essai. Il s’agit vraisemblablement de prendre la température de l’accueil auprès de l’opinion d’une énième idée. Or, dans ce cas, la personnalité assez détestée chez les modernistes tunisiens de Khedher, réputé arrogant, a achevé de précipiter une vive levée de boucliers.

Plus loin, article 20, le même texte conditionne la liberté d’expression au « respect du sacré propre aux religions et aux peuples ».

 

Un pas en arrière pour l’universalisme

Ce ne serait pas une nouveauté à proprement parler que de faire de la charia une source essentielle de la législation en Tunisie. Même si la Constitution de 1959 reste sans doute celle qui est la plus ouvertement d’inspiration laïque du monde arabo-musulman, à la faveur de subtilités sémantiques que l’on doit notamment à la touche bourguibienne, l’ex Constitution s’appuie par endroits sur des lois islamiques, tout du moins dans l’esprit des lois.

C’est constitutionaliser la chose qu’introduirait une « théocratisation » relative mais inédite  du droit dans le pays. En cela ce serait un pas vers des modèles tels que le modèle libyen où, contrairement à la Tunisie, l’Etat est balbutiant, et où au lendemain d’une révolution armée, le chef du CNT s’est empressé de déclarer, également, que la charia serait « naturellement » la principale source du droit.

Si une telle disposition est adoptée, cela serait ensuite un revers pour tous les universalistes ayant d’ores et déjà proposé des textes non contraignants à l’Assemblée constituante, à l’image d’éminents constitutionnalistes que compte le pays tels qu’Iyadh Ben Achour qui milite en ce sens, Sadok Belaïd ou encore Jawhar Ben Mbarek.

 

Quid de la faisabilité ?

Concrètement, quelles chances un tel texte a-t-il de passer à l’ANC ? La réponse est que ces chances sont faibles. Même fort du soutien indéfectible des deux autres partis de la troïka majoritaire (CPR + Ettakatol) cela resterait insuffisant : après le rééquilibrage, obtenu sous la pression, de la loi sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics, il a été décidé que la Constitution devra être adoptée article par article certes à la majorité absolue (ce dont dispose le seul couple Ennahdha + CPR).

Mais, surtout, qu’elle devra être intégralement adoptée à la majorité des deux tiers (et soumise à référendum en cas d’absence de cette majorité). Un dispositif censé éviter les blocages tout en incitant à la recherche d’un consensus.

Or, la troïka dispose de 138 sièges au total à l’ANC, sachant qu’une adoption d’un texte par les deux tiers nécessiterait plus de 144 voix. Cela relativise donc la marge de manœuvre d’Ennahdha et peut expliquer le fait que le parti place le seuil de ses demandes aussi haut dans certains articles, pour ensuite revoir cela à la baisse le cas échéant.

Malgré tout, une fois encore la primauté des droits de l’homme sur le religieux, primauté caractéristique de toute démocratie digne de ce nom, est remise en question par le plus grand parti du pays, ouvrant la voie à toutes sortes de dérives potentielles.

Ainsi placée dans un flou constitutionnel, une essence des lois à provenance multiple peut causer des blocages au sein de l’Assemblée, entre fondamentalistes littéralistes comme l’élu Sadok Chourou, et démocrates.

Plus que par les déclarations de campagne électorale, c’est sur ce texte que se jouera surtout la réforme d’Ennahdha en parti civil. Une réforme dont on saura clairement si elle est oui ou non de l’ordre de l’effet d’annonce.

Seif Soudani