Tunisie. Vers un tour de vis souverainiste du gouvernement Jebali ?

 Tunisie. Vers un tour de vis souverainiste du gouvernement Jebali ?

Gordon Gray (à gauche)


La lune de miel entre le gouvernement Jebali et les officiels américains n’aura duré qu’un temps. Il aura suffi d’un communiqué de l’ambassadeur des Etats-Unis à Tunis commentant la condamnation judiciaire de Nessma TV pour qu’un contre-communiqué ne dénonce une ingérence, faisant renouer le pouvoir actuel avec un jargon souverainiste propre à une époque pas si lointaine.




 


A Tunis, rien ne va plus entre un Palais de la Kasbah de plus en plus isolé et la forteresse américaine des Berges du Lac.


C’est une véritable bataille épistolaire, à coup de communiqués interposés, qui s’est engagée entre le gouvernement tunisien et les Etats-Unis, depuis que la diplomatie US a promptement réagi au verdict prononcé contre Nessma TV dans l’affaire Persépolis, le 3 mai dernier, le jour même du jugement reconnaissant la chaîne coupable « d’atteinte aux bonnes mœurs » et de « trouble à l’ordre public ».


Sur le site web officiel de l’ambassade américaine en Tunisie, dans un communiqué de l’ambassadeur en personne, l’influent Gordon Gray, en poste à Tunis depuis 3 ans, se dit « préoccupé et déçu par la condamnation de Nessma pour la diffusion d’un film d’animation précédemment autorisé à être distribué en Tunisie ».


Dans un communiqué de ce type, chaque mot a son importance et Gray qualifie le procès de Nabil Karoui, PDG de la chaîne devant s’acquitter d’une amende de 2 400 dinars, de « procès pour blasphème », et précise qu’il a suivi l’affaire en question « avec intérêt ». 


La dernière partie du texte exprime une inquiétude quant à l’état des libertés dans le pays et dit espérer que, si appel il y a, l’issue du procès fera jurisprudence en garantissant la liberté d’expression, tout en rappelant que celle-ci fut « un droit dont l’ère Ben Ali a privé les Tunisiens ».  


En somme, la position de l’ambassade est la même que celle qui avait émané de l’ensemble de la société civile tunisienne, faisant l’unanimité chez droits-de-l’hommistes et médias étrangers que la décision de justice avait choqués.


 


Tollé chez les officiels tunisiens


Les leaders d’Ennahdha, dont certains sont devenus ministres trois mois après l’éclatement de l’affaire Persépolis, début octobre, avaient commenté la polémique sur le mode du « oui mais », reconnaissant à demi-mot qu’une réponse judiciaire n’était pas la plus appropriée, tout en affirmant que Nessma s’était rendu responsable de « provocations diverses ».


Rafik Abdessalem, ministre des Affaires étrangères, est le premier à rompre le silence gouvernemental. Il y est allé de son propre communiqué lundi 7 mai pour fustiger ce qu’il considère être une « ingérence dans la justice tunisienne ».


Parlant au nom de son gouvernement, il s’est dit« très étonné » par la prise de position de Gordon Gray, avant de souligner son attachement « au renforcement des relations d’amitié et de coopération entre la Tunisie et les Etats-Unis » mais « en veillant à ce qu’elles soient fondées sur l’entente, la concertation, le respect de la souveraineté et des intérêts communs. »


Mardi, Samir Dilou, porte-parole du gouvernement et ministre des Droits de l’homme, lui emboîte le pas et joint sa voix aux protestations officielles en se disant surpris par une atteinte à la souveraineté du pays.


En fin de règne, sous le feu de la critique internationale, Ben Ali avait usé d’un vocabulaire souverainiste similaire, celui-là même qu’affectionne le pouvoir algérien réagissant aux révolutions arabes.


 


Fâcheuses conséquences à prévoir


Lors de sa première visite en Tunisie sous Béji Caïd Essebsi, Hillary Clinton avait énoncé sa conception de la politique étrangère : « toujours un équilibre à trouver entre intérêts et idéaux ».


Après le temps des chaleureuses accolades entre Hamadi Jebali et John McCain, le tapis rouge déroulé devant l’administration US à l’occasion de la visite de la chef de la diplomatie américaine à Tunis fin février pour le sommet des amis de la Syrie, le temps des premiers couacs vient mettre un terme à l’entente cordiale entre les représentants de l’islam politique et ce que beaucoup considèrent comme leurs alliés de la realpolitik.


L’incident diplomatique n’est pas banal et aura, à n’en pas douter, des répercussions sur l’avenir des relations tuniso-américaines. Des relations dont l’importance outre-Atlantique s’illustre par la nomination d’une personnalité aussi « high profile » que Gordon Gray à Tunis.


Diplomate de carrière et membre du Senior Foreign Service, Gordon Gray a servi comme conseiller principal auprès de l’ambassadeur des États-Unis en Irak de juin jusqu’à mai 2009, avant d’être promu ambassadeur en Tunisie. Il y a fort à parier que ce spécialiste du monde arabe, qui avait auparavant servi dans le Peace Corps au Maroc, ne laissera pas passer pareille fausse note sans solliciter une réaction en plus haut lieu.


Seif Soudani