Tunisie. Vendredi 15 juin, journée de tous les dangers

 Tunisie. Vendredi 15 juin, journée de tous les dangers

Rached Ghannouchi a appelé ses troupes à « manifester vendredi pour sauver la révolution et protéger le sacré ». Photo Fethi Belaïd / AFP.


Une guerre fratricide entre deux factions de l’islamisme tunisien, une désobéissance de la police républicaine ou un plus classique affrontement entre le camp laïque et le camp obscurantiste ? Tous ces scénarios sont possibles demain vendredi, journée à hauts risques.




 


Il valait mieux être muni d’une carte de presse pour s’aventurer hier soir après 22h dans les rues de Tunis sous couvre-feu. Dans les quartiers huppés de la capitale, quelques barrages de police et l’absence de clients sur les terrasses des cafés montrent que le couvre-feu y est scrupuleusement appliqué.


C’est un tout autre paysage à la Cité Ettahrir, dans les faubourgs défavorisés de la capitale. Dehors, les riverains y narguent en nombre des forces de l’ordre quasi inexistantes. Les cafés achalandés ne font pas penser à un pays toujours en état d’urgence. Le prestige de l’Etat y est plus que bafoué. C’est une notion qui fait sourire les jeunes qui s’adressent spontanément aux journalistes.


C’est précisément ce quartier difficile que Rached Ghannouchi a choisi pour donner une conférence de presse mercredi, passée relativement inaperçue dans le brouhaha des médias qui peinaient à rendre compte de l’ampleur de l’explosion soudaine de la violence.


Après avoir affirmé détenir les preuves irréfutables de l’implication dans les derniers évènements d’hommes d’affaires connus pour être proches de l’ancien régime, le chef d’Ennahdha a appelé ses troupes à « manifester vendredi pour sauver la révolution et protéger le sacré ». Une façon d’associer religion et révolution, mais aussi de s’approprier définitivement une double légitimité de gardien du sacré et d’une révolution qui n’avait pourtant pas levé initialement de slogans religieux.


 


Une situation idéologiquement complexe


72 heures après l’étincelle de l’expo du Palais Abdellia, prétexte au déferlement de la violence salafiste, on commence à y voir plus clair s’agissant du fil et de la nature des incidents qui secouent le pays.


Cette violence ne pouvait être que latente, contenue laborieusement jusqu’ici par Ennahdha qui ne contrôle plus la mouvance salafiste avec laquelle le parti a joué à un jeu dangereux. Aujourd’hui encore, Lotfi Zitoun persiste et signe. Il a affirmé sur un plateau TV dans un débat contre le camp social-démocrate que « n’en déplaise à tout le monde, nous continuerons à privilégier le dialogue avec les salafistes ».


Ensuite, un dénominateur commun se dégage de la liste des locaux pris pour cible par le saccage et les incendies criminels : tous représentent l’opposition. Sièges de l’UGTT, du parti Al Joumhouri ex PDP, QG du Watad… tous visés en raison d’une parole dissonante perçue comme étant « anti islam », plus encore que comme représentant la gauche.


Dans le défoulement d’un succédané d’une nuit de Cristal, l’élan de la barbarie destructrice entraîne de jeunes casseurs sans aucune conscience politique, et non d’extrême gauche comme on a pu l’entendre ici et là. 


 


Jour J d’une guerre civile annoncée ?


Abou Ayoub, celui que l’on dit être le représentant d’Al Qaïda en Tunisie, est l’exemple même de ces leaders salafistes flirtant avec les limites de la légalité, narguant l’angélisme bienveillant d’Ennahdha.


C’est lui qui dès lundi appelait à la guerre sainte vendredi 15 juin à Tunis contre « les ennemis de l’islam, à commencer par Moncef Marzouki », président « apostat » de la République. Il n’en fallait pas plus pour que soit décrété sur les réseaux sociaux « une marche d’un million de musulmans pour la défense du prophète ».


En appelant à une sorte de contre-manifestation de l’extrême droite « modérée » contre l’ultra droite délirante même lieu, même heure, Rached Ghannouchi tente donc de limiter les dégâts d’une politique qui s’avère rétrospectivement irresponsable, en tirant à lui la couverture islamo-révolutionnaire.


Un rassemblement des pro libertés est prévu le même jour à partir de 18h30 près de l’ambassade de Tunisie à Paris, place André Tardieu, sortie du métro St. François Xavier.


Quant à Ali Laâridh, il a averti jeudi qu’aucune manifestation n’avait reçu d’autorisation de la part du ministère de l’Intérieur. Un désaveu pour Ghannouchi et une fausse note gouvernementale de plus qui vient ajouter à la confusion ambiante.


Seif Soudani