Tunisie-Une femme nommée à la tête de la seule radio coranique
La fraiche nomination du Pr Iqbal Gharbi à la tête de la radio Zitouna, première radio coranique en Tunisie, très bien classée dans l’audimat, suscite des vagues de protestations. Les courants islamistes voient en la nomination du Pr Gharbi, une femme, considérée de surcroît comme « laïque » – un coup dur et sournois porté à l’Islam. Les commentaires sur leurs forums et pages face book attestent de l’étendue de leur colère.
Pourquoi cet acharnement sur cette exégète, parfaitement connaisseuse de la religion et chercheur reconnue ? Parce qu’elle a osé prendre du recul par rapport à l’interprétation du coran exclusivement masculine jusque là, qui a tôt fait de verrouiller la religion quelques siècles après sa révélation. Avec beaucoup de courage, Iqbal Gharbi en appelle à une compréhension du coran qui s’adapte à notre temps en posant comme postulat l’égalité entre l’homme et la femme.
Cette dame originaire de Béja, petite ville du nord ouest, après des études poussées à la Sorbonne rentre vers les années 90 en Tunisie avec le titre de professeure. Elle est nommée chef du département des civilisations à l’université de la Zitouna, et représente depuis une voix dissonante et donc dérangeante dans le paysage clos de la faculté de la Charia et principes religieux de la Zitouna dominé par les Cheikhs.
Pionnière, professeure Gharbi est la première femme à enseigner la psychologie à l’université de la Zitouna, et poussée par la volonté de « moderniser et rationaliser l’enseignement religieux », elle réussit à introduire l’enseignement de la philosophie, de l’anthropologie, des droits de l’homme, des langues étrangères, dont l’hébreu ainsi que l’enseignement du dialogue entre les religions. « Des matières qui font réfléchir et douter, précise la professeure, notre objectif étant que la Zitouna forme un citoyen moderne et non un intégriste ». En d’autres termes, elle est pour l’ouverture et le développement de l’esprit critique.
Dans une logique d’émancipation prônée par rapport aux premières interprétations du coran devenues elles aussi sacrées et donc par définition intouchables, Iqbal Gharbi a fait part de son intention de procéder à une « lecture féminine » de l’Islam afin de parvenir à réconcilier cette religion longtemps figée à cause de l’interprétation qui en a été faite, avec les valeurs universelles. C’était lors d’une interview accordée en 2007 à Magharebia, site d’actualité s’exprimant dans les trois langues, arabe, français et anglais.
Elle considère que « L’Islam féminin », ou encore l’Islam des femmes, équivaut à une lecture féminine des Saintes Ecritures. Le plus important selon elle est de concilier l’Islam avec les valeurs globales, telle l’égalité des sexes et de développer les lectures des versets du coran à travers une compréhension féminine moderne et progressiste.
Dans cette même logique, professeure Gharbi défend l’idée lancée et mise en pratique par Amina Wadud devenue la première femme Imam d’une congrégation mixte en Afrique du Sud en 1995, puis aux Etats Unis. Selon sa vision : « les textes ne sont pas clairs à ce sujet. Lorsque nous nous souvenons que le Prophète Mohamed affirmait que les femmes étaient les sœurs des hommes, et que Dieu avait créé les êtres humains à partir d’une seule âme, et que la dignité humaine ne peut être divisée, lorsque nous nous souvenons de toutes ces valeurs, pourquoi n’acceptons-nous pas les femmes Imams ? Pourquoi approuvons-nous l’exclusion des femmes de la sphère sacrée ? ». L’islam est donc multiple à travers des facettes liées à l’environnement économique, politique et culturel, et unique en termes d’adoration et de dimensions spirituelles. Elle prend à témoin Ali Ibn Abi Taleb le cousin et gendre du prophète qui a dit que le Coran est capable d’offrir des aspects multiples.
Professeure Gharbi se positionne comme une fervente défenseure d’un Islam moderne en phase avec son temps et totalement en porte à faux avec l’Islam rétrograde et misogyne tel que propagé par les prédicateurs wahhabites des chaînes satellitaires arabes lancées à coup de pétrodollars. « Dans leur discours, ces derniers prônent, entre autres, le port du voile, qui n’est en réalité qu’une mauvaise réponse à de vraies questions d’identité, de justice sociale et de religiosité privée. Les femmes doivent s’affranchir de cette influence » tranche Iqbal Gharbi dans une interview parue sur le site jeune afrique.com en décembre 2010.
Elle qui enseigne dans une institution religieuse en ne portant pas de voile constate encore à ce sujet que de plus en plus de tunisiennes portent le voile alors qu’elles n’y sont pas obligées. Cette évolution, explique-t-elle, représente le fruit d’une trajectoire personnelle, et qu’il y a derrière inévitablement l’interprétation rétrograde de la charia. Elle considère parallèlement que le code du statut personnel tunisien représente un effort d’interprétation issu d’une lecture progressiste des textes coraniques et qu’il n’est en rien une rupture vis-à-vis des règles de l’Islam.
On comprend maintenant pourquoi les porte-drapeaux de cet Islam wahhabite en train de se propager en Tunisie comme un feu dans la forêt combattent avec acharnement la nomination d’une femme qui prône et ne s’en cache pas de telles visions modernistes de l’Islam.
Soufia Limam