Tunisie – Une campagne du PDP réveille de vieux démons

Impossible pour qui sillonne les rues de Tunis depuis quelques jours de ne pas tomber sur la récente campagne publicitaire pour le PDP (Parti Démocrate Progressiste) : si vous ratez l’affichage sur le dos des bus, vous ne passerez sans doute pas à côté des posters géants disposés un peu partout dans toutes les villes du pays. Ainsi, au travers d’une campagne d’affichage tous azimuts, le PDP aura donc dégainé le premier, les sourires de ses deux principaux chefs (Ahmed Néjib Chebbi, fondateur et Maya Jribi, numéro 2) sont là où que l’on aille, quoi que l’on lise : presse papier, internet, affichage urbain, etc. : l’omniprésence est assurée en y ayant visiblement mis les moyens, tous azimuts.

Sans complexes, la campagne pose pourtant problème à nombre de Tunisiens comme en attestent les réactions gênées de certains, ou encore les panneaux déjà saccagés à coups de pierres, quand ils ne sont pas affublés de graffitis sans appel : « Le nouveau RCD. Dégage ! ». Et pour cause, la campagne n’a pas manqué de rappeler aux yeux des Tunisiens, à tort ou à raison, des méthodes que l’on croyait tombées aux oubliettes de l’avant révolution, du temps du plébiscite et du parti unique et sa personnification.

Identité visuelle ou culte de la personnalité ?

Lancée 4 mois à peine après la révolution du Jasmin, la campagne arrive bien trop tôt au goût de certains. Les responsables du parti, eux, se justifient en invoquant des délais trop courts pour préparer les prochaines et toutes proches échéances électorales : en effet, il reste avant la tenue des élections de la Constituante au mieux 3 à 4 mois en cas de report, voire un mois et demi en cas de maintien de la date prévue initialement du 24 juillet 2011… Soit, à l’évidence, pas assez de temps pour se donner une identité auprès de l’opinion, ni même simplement se faire connaitre. Si bien qu’interrogés par les médias dans la rue au sujet des  quelques 81 partis politiques légalisés à ce jour en Tunisie, les Tunisiens répondent en général en citant les plus connus, notamment Ennahdha, le plus souvent parce que c’est le parti incarnant l’islam politique, mais sans pour autant en connaître le programme, encore moins celui de ses concurrents.

Parti se réclamant de la social-démocratie, le PDP, ex RSP (Rassemblement socialiste progressiste) a évidemment souffert de l’exclusion et de la marginalisation sous l’ancien régime de Ben Ali. On peut donc présumer de la bonne foi manifeste du chef du parti lorsqu’il argue de l’urgence de se doter d’une identité visuelle tangible, en mettant un ou des visages sur le nom de son parti, qui vient du reste de subir un rebranding de son logo (un olivier synonyme culturel de croissance remplaçant l’ex bateau).

Une campagne d’affichage qui dérange

D’un autre côté, nul ne peut réellement reprocher  aux Tunisiens, après au moins 23 ans de dictature, leur méfiance désormais viscérale à l’égard de tout ce qui peut évoquer le spectre d’un retour du culte de la personnalité, notamment celui qui avait accompagné la fin du règne du président déchu qui avait vu apparaître d’énormes posters dont sont plutôt coutumiers la Syrie et l’Irak baathistes d’antan, et finalement assez intrus dans la culture et le paysage politique tunisiens, si l’on fait abstraction de l’exception Bourguiba, icone nationale de l’indépendance.

Maladresse donc ? Bien que Moncef Marzouki, président d’un parti concurrent, le CPR, ait affirmé  qu’il s’agit là d’une manœuvre illégale hors période de campagne électorale, la loi des partis, encore en vigueur bien qu’en passe d’être réformée, peut aider à trancher s’agissant de l’aspect strictement juridique. Ainsi, dans l’état actuel des choses, et si l’on s’en réfère par ailleurs aux pratiques constatées dans les pays occidentaux les plus démocratiques, rien n’interdit aux partis politiques de procéder à des campagnes publicitaires, avec ou sans visages de leurs leaders, en dehors des campagnes électorales à proprement parler qui obéissent quant à elles à des règles certes bien déterminées (une semaine à deux semaines du coup d’envoi des élections, l’affichage urbain devenant strictement encadré et régi dans un souci d’égalité parfaite des surfaces imparties à l’affichage).

Quoi qu’il en soit, une contre-campagne de dénigrement ne manquant pas d’humour sévit actuellement sur les réseaux sociaux tunisiens qui ont fait du PDP leur nouvelle tête de turc.

Légitime mais inaudible

Il convient au final de garder à l’esprit que si dans le cas des abus anti démocratiques, les fonds utilisés à des fins de propagande étaient des fonds provenant des caisses de l’Etat et au frais du contribuable, il s’agit dans le cas du PDP en l’occurrence de fonds privés. D’où la nécessité de faire une comparaison toutes proportions gardées et sans raccourcis irrationnels. Cependant, même privé, le financement d’une telle campagne n’a pas manqué de susciter la polémique devant l’ampleur de l’opération d’une part et le climat ambiant enclin à la rumeur et à la suspicion d’autre part.

Slim Loghmani, professeur de droit public à l’Université de Tunis, a à ce titre indiqué dans le cadre des préparatifs du projet de loi sur le financement des partis politiques que « le financement peut être privé ou public avec la fixation d’un plafond et la garantie d’un contrôle de l’opération de financement. » Il est possible qu’en attendant, des intérêts privés aient donc profité du flou juridique qui règne sur ces questions pour soutenir un parti qu’ils voient comme seule formation capable de faire barrage dans les urnes à la déferlante Ennahdha, en agissant en amont.

Interdit en France, le lobbying politique est par exemple autorisé à certaines conditions outre atlantique. Il reste aux sous-commissions découlant de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution de trouver la formule qui sied le plus au pays, même si pour l’instant, comme le montre l’épisode PDP, mettre le paquet en matière publicitaire reste un discours assez largement inaudible, voire contre-productif pour une bonne partie de l’opinion encore échaudée par de bien mauvais souvenirs d’hégémonie et d’hommes providentiels, ceux d’une époque aux pratiques révolues.

Seif Soudani