Tunisie. Un Marzouki volontariste mais peu convaincant
Depuis l’entame de son mandat provisoire, le président Marzouki multiplie les entretiens télévisés, donnant à voir un homme sensible à son image, chaque sortie médiatique correspondant à une recrudescence de critiques à son encontre.
Les deux dernières sorties en date, mercredi, respectivement à la RTBF et la TV nationale, recèlent un certain nombre d’enseignements et révèlent un Moncef Marzouki qui campe sur des positions parfois controversées, sûr de son fait.
Obligation morale envers la Syrie
Sur la TV nationale, les journalistes ont commencé par interpeller le président de la République sur le dossier le plus polémique de l’actu : l’expulsion de l’ambassadeur syrien, une décision qui le concerne à double titre, en chef réel de la diplomatie tunisienne, et en instigateur d’une expulsion fustigée par les partis d’opposition.
Imperturbable, il a développé une démonstration convaincante : « la Tunisie avait un devoir moral envers ce pays », a-t-il rappelé. « Nous sommes le pays qui, le premier, a montré la voie, s’est soulevé précisément contre cette même tyrannie, le pouvoir héréditaire, la répression sauvage, le parti unique, etc. » ajoute-t-il. « La question était donc de savoir : que pouvions-nous faire ? », s’interroge-t-il à juste titre.
C’est là que Marzouki fait sans doute de l’universalisme sans le nommer, et plutôt habilement, en expliquant aux Tunisiens non coutumiers de l’ingérence étrangère que ce qui se passe en Syrie, ces massacres d’une violence inouïe, nous concernent aussi et que nous ne pouvons pas, ou plutôt nous ne pouvons plus, faire comme si de rien n’était, l’ère du souverainisme du « chacun est maître chez soi » étant révolue.
Là-dessus, rien à redire, la dimension pédagogique était subtile et efficace, l’homme étant à l’aise dans cet exercice, tout en rejetant une hiérarchisation piège des priorités, entre politique étrangère dictée par des idéaux intemporels, et problèmes économiques conjoncturels.
Un chef de l’Etat garant des libertés individuelles ?
L’autre grand volet qui a occupé le cœur des deux entretiens fut l’actu brûlante de l’inquiétude autour du recul des libertés publiques et individuelles.
L’homme a d’abord botté en touche s’agissant de l’arrestation des journalistes du journal Attounissia pour une simple publication de photos dénudées, au motif qu’elles portent atteinte aux bonnes mœurs. Il s’est contenté d’expliquer que la réforme du secteur des médias passera sans doute d’abord par quelques errements inévitables, montrant, au fond, une certaine impuissance en la matière.
Interpellé aussi sur le climat général tendu, fait de multiplication de visites de prédicateurs intégristes et de déclin perceptible du modèle tunisien éclairé et moderniste, il a voulu apparaître comme le garant des libertés individuelles et des acquis républicains, en mettant un point d’honneur à les défendre personnellement s’il le fallait.
Marzouki est-il crédible lorsqu’il dit cela ? Rien n’est moins sûr.
Il y a d’abord un certain double discours, particulièrement flagrant lorsqu’on compare ce qu’il a déclaré aux journalistes belges et à des journalistes locaux : « Je suis un laïque de gauche et Ben Jaafâr aussi », dit-il sur la RTBF. Sans avoir osé réitérer cela sur la chaîne nationale, où il dit autre chose : « Personne ne peut remettre en doute mon attachement à la fois au modernisme et à notre identité arabo-islamique ».
Peut-on être les deux à la fois, progressiste et identitaire ? Ce sont là deux idées qui correspondent en réalité à deux projets de société antagonistes. En terre non sécularisée, toute la classe politique considère le fait de montrer patte blanche quant à l’attachement conservateur à l’identité, comme incontournable, bien qu’il s’agisse objectivement d’un thème de droite. Il s’agit d’une forme de populisme à laquelle Marzouki n’échappe donc pas.
Islamisme et République, qui a absorbé qui ?
Autre passage marquant, présent quasiment à l’identique dans les deux interviews, celui où Marzouki se vante de son nouveau crédo : celui d’avoir ramené la plus grande partie de la tendance islamiste vers la démocratie, dans le giron de la République.
Pour la fraction salafiste restante, il a fixé une ligne rouge à son action dans le pays : celle de la violence, et du non-respect des libertés individuelles, sans pour autant parler de loi ou d’interdiction d’utiliser les mosquées.
Dans les faits, Marzouki ne semble même pas avoir d’emprise sur son propre parti à ce sujet. Un CPR dont le secrétaire général n’hésite pas à faire l’apologie du salafismecomme « rempart aux agressions des Etats-Unis dans le Golfe », qui n’hésite pas à se rendre aux réunions des groupes djihadistes les plus radicaux.
Remettre de l’ordre dans sa propre maison serait donc un préalable à toute velléité nationale pour le président.
Car en attendant, c’est plutôt son parti politique qui semble s’être approché des thèses islamistes et non l’inverse, et le discours consensualiste ne résiste pas à l’épreuve des faits, lorsque dans les universités tunisiennes, le salafisme fait des ravages qu’on ne saurait minimiser.
Au final, c’est aujourd’hui un président qui gagne certes en légitimité, mais peine à convaincre quant à la salafisation rampante et le volet économique pour lequel il fait preuve de beaucoup de bonne volonté, mais sans aucune vision d’avenir claire et arrêtée, mis à part un vœu pieux de grandeur maghrébine panarabiste quelque peu ringarde et peu réaliste au regard de l’état des voisins de la Tunisie, notamment en matière de démocratie.
Seif Soudani
Lien de la deuxième interview de Moncef Marzouki : http://www.youtube.com/watch?v=jl0rKfBgvLU