Tunisie. Sommet des forces de l’opposition : acte fondateur d’un grand parti progressiste uni

 Tunisie. Sommet des forces de l’opposition : acte fondateur d’un grand parti progressiste uni

Il était clair hier que c’est bien le PDP

A l’initiative de l’association Esprit Citoyen qui les y incite depuis des mois, les forces de l’opposition tunisienne se sont réunies hier soir lundi au Golden Tulip de Gammarth pour présenter à leurs militants, agréablement surpris, un ambitieux projet de fusion en un seul et même grand parti unifié, ayant le modernisme en guise de socle idéologique commun.

Un front politique qui ratisserait large, de la gauche au centre, pour contrer plus efficacement à l’avenir la déferlante Ennahdha, voilà l’idée qui, depuis l’échec électoral cuisant d’octobre dernier, germe de plus en plus concrètement au sein de l’opposition progressiste tunisienne.

L’expérience fut certes déjà tentée au sein de l’entité aujourd’hui démantelée de facto du Pôle Démocratique Moderniste. Elle se solda au final par de nombreuses défections, 8 petits partis satellites gravitant autour d’Ettajdid, et 5 petits sièges à la Constituante.

Cette fois, il s’agit de faire table rase, en engageant au passage dans un projet autrement plus ambitieux les deux autres partis politiquement à la droite de l’ex PDM : les sociaux-démocrates  PDP d’Ahmed Najib Chebbi et les libéraux Afek Tounes de Mohamed Louzir.

En clair, devant l’ampleur de son récent échec électoral, l’opposition se résout à rassembler toutes ses forces pour exister enfin dans un paysage politique dominé par Ennahdha et son règne sans partage qui, autrement, « risque de gouverner le pays pour les 20 ans à venir », a prévenu le numéro 1 d’Afek.

Se faire une place au soleil dans un pays conservateur

Etaient aussi présents parmi les ténors de l’opposition Maya Jribi, Ahmed Ibrahim, Mahmoud Ben Romdhan, Yassine Brahim, Emna Mnif, Jawher Ben Mbarek et Fadhel Moussa.

Ce dernier (élu PDM) a insisté sur la nécessité de donner une coloration de gauche à la nouvelle entité, qui ne saurait aspirer à gagner contre les islamistes à l’avenir qu’en bataillant sur le terrain du social.

Car c’est bien là la gageure de ce front nouveau, dont certains protagonistes ont d’ailleurs récusé le terme « front » qui renvoie trop selon eux à une dimension guerrière : il s’agit de réhabiliter des concepts aussi impopulaires dans la Tunisie d’aujourd’hui (et a fortiori son environnement régional) que le modernisme, le progressisme, l’universalisme ou encore la laïcité.

Face à l’incontestable succès populaire de l’islam politique, inutile de se voiler la face, un rapide état des lieux permet de se rendre à l’évidence : le vote identitaire a encore de beaux jours devant lui, dans une société qui reste globalement conservatrice, toute une région du monde non encore sécularisée, et surtout des notions progressistes encore largement perçues comme « importées d’Occident ».

Si bien qu’il est aujourd’hui impensable pour un parti politique de compter de manière significative, sans donner des gages de son « attachement à l’identité arabo-islamique ».

Dans ces conditions, il ne reste pas grand chose d’autre à proposer en termes d’utopies pour la gauche tunisienne qu’occuper le terrain de la spécificité tunisienne de l’islam modéré, tout en espérant que la popularité d’Ennahdha, confronté à la gouvernance, diminue d’ici la prochaine échéance électorale des législatives, dans environ un an.

Une échéance qui se prépare donc dès à présent, avant laquelle il s’agit pour les forces en présence de mettre fin aux divisions qui ont coûté cher à l’opposition, avec 1,3 millions de voix parties en fumée, sans être représentées à l’assemblée, proportionnelle oblige.

L’éternel problème des égos

S’il est un obstacle encore plus difficilement surmontable en vue d’une alliance politique large, c’est bien celui des égos des uns et des autres au sein des leaderships.

En tant qu’indépendant de la société civile, le président d’Esprit Citoyen a dit bien mesurer la complexité de la chose, lui qui conviait à une même table de négociations une somme d’égos et autant de leaders.

Et au jeu des ambitions politiques, il était clair hier que c’est bien le PDP qui entendait affirmer sa domination sur la prochaine entité progressiste, qu’elle prenne la forme d’une confédération de partis ou d’un méga parti unique.

Quoi de plus légitime pour le parti le plus puissant et le mieux implanté sur le territoire hors Ennahdha ? Ahmed Najib Chebbi ne s’y est pas trompé : parmi les conférenciers hier, il avait le plus à perdre s’il se laissait absorber dans une machine électorale qui mettrait à disposition ses structures aux autres, tout en ne récoltant pas un capital à la mesure de l’investissement.

Du coup, il a été le plus circonspect et le moins enthousiaste hier, préférant tempérer, quitte à être copieusement hué par une foule survoltée à l’idée d’un grand parti uni « ici et maintenant ».

Peu importe, lorsqu’on dispose au sein du PDP d’une figure aussi populaire que Maya Jribi qui, hier encore, a volé la vedette à tout le monde, ovationnée à la seule lecture de son nom.

Au-delà du défi de la conjugaison des égos, le nouveau-né de la politique tunisienne qui devrait prendre forme à la fin de la saison des congrès des partis, devra traduire l’idée que le monde a changé et que certains clivages ne sont plus pertinents aujourd’hui, modernisme et populisme tendant à se substituer à la traditionnelle grille de lecture gauche / droite.

Seif Soudani