Tunisie. Renaissance de l’enseignement zitounien, nouveau péril contre-révolutionnaire

 Tunisie. Renaissance de l’enseignement zitounien, nouveau péril contre-révolutionnaire

Depuis sa réouverture au public


La Zitouna est le énième théâtre de rivalité nahdhaoui-salafiste autour de la domination du champ religieux. Le très controversé Houcine Laâbidi s’est autoproclamé responsable de l’enseignement zitounien. Le mimétisme avec Al Azhar laisse craindre une volonté de démantèlement méthodique de l’enseignement supervisé par l’Etat. Une première dans l’Histoire de la Tunisie post indépendance.




 


Le 19 mars 2012 est une date à marquer d’une pierre blanche pour les anti bourguibistes.


En ordonnant de lever les scellés apposés depuis 1958 sur cette institution séculaire qu’est la Zitouna, plus ancien établissement d’enseignement du monde arabe, un juge a non seulement initié une revanche sur plusieurs décennies de sécularisme bourguibien mais aussi sur une certaine conception de l’Etat providence.


Combattue par les deux premiers présidents autocrates de la Tunisie moderne, la Zitouna n’avait jamais vraiment disparu. C’est le lien structurel et idéologique entre l’université et la mosquée qui fut brisé, dès la fin des années 50, par le père de l’indépendance qui allait allouer jusqu’à 32% du budget de l’Etat à l’Education nationale.


Quelques succédanés ont bien été lancés, mis sous tutelle de l’Université de Tunis, mais restèrent anecdotiques en termes d’importance et d’affluence. Ni Bourguiba ni Ben Ali ne voulaient d’un modèle à la Al Azhar en Tunisie, même si Ben Ali aura été plus attentif aux revendications des islamistes, en leur accordant dès 1988 deux nouvelles facultés confessionnelles.


 


Un fondamentaliste aux commandes


Derrière cette demande de redémarrage concrétisée samedi, deux personnages clés : cheikh Mohamed Bel Haj Amor, mais surtout cheikh Houcine Laâbidi, de l’Association des anciens élèves de la Zitouna.


Longtemps contraint à l’exil en France, cheikh Laâbidi s’est illustré par son intolérance, voire son intégrisme, dès le 29 avril dernier. Venus visiter la Zitouna où il dispense d’ores et déjà ses cours toutes les fins de semaines, des étudiants d’archéologie et de civilisation islamique en ont fait les frais en se faisant expulser manu militari.


Au prétexte qu’ « ils étudient la pierre » et que « leur champ du savoir n’est pas une science », le cheikh conspirationniste a accusé le gouvernement de vouloir nuire à l’enseignement zitounien « en le frappant de l’intérieur cette fois ». « La Zitouna est souveraine ! », s’est-il écrié enfin, dans une tonalité digne des pires stéréotypes obscurantistes.


Face à cette caricaturale démonstration de fondamentalisme, les réseaux sociaux avaient donné raison à Bourguiba en son temps d’avoir fait fermer l’établissement.


Plus insolite encore, le même Laâbidi a remis ça samedi, où l’ambiance était plus festive. Etaient conviés à la cérémonie d’annonce des grandes lignes du plan de relance de l’enseignement zitounien un parterre des grands jours, composé notamment de Rached Ghannouchi, Noureddine Khadmi ministre des Affaires religieuses et Moncef Ben Salem, ministre de l’Enseignement supérieur. Deux ministres issus d’Ennahdha.


C’est là que Houcine Laâbidi emploie une formule traditionnellement réservée pour qualifier les compagnons du prophète en introduisant « le militant de longue date Rached Ghannouchi, Dieu le bénisse » (« radhiya allahou âanh »). Depuis la phrase n’en finit plus de faire le tour du web et des médias, raillée, fustigée et ne laissant aucun doute quant aux loyautés du personnage désormais associé à la « sanctification » de Ghannouchi. 


 


Les salafistes en embuscade


Mais les allégeances des nouveaux tenants des lieux auraient pu se situer davantage encore à l’extrême de la droite.


Autre prédicateur fondamentaliste présent samedi, le très proche des salafistes Bechir Ben Hassen. Il a légitimé dimanche l’emploi de la formule incriminée selon une pirouette linguistique dont il a le secret.


Or, quelques semaines plus tôt, Houcine Laâbidi s’affichait en compagnie de Ben Hassen dans son fief de Msaken pour louer les mérites d’Ibn Tayymiya, l’un des principaux théoriciens historiques du salafisme le plus radical.


Depuis sa réouverture au public, le bâtiment de la mosquée de la Zitouna consacré à l’enseignement est régulièrement pris d’assaut par des militants salafistes usant des habituelles techniques d’intimidations très sonores afin de faire main basse sur les lieux.


Exit l’islam malékite synonyme de modération, si rien n’est fait pour contrer ces ardeurs contre-révolutionnaires, sur fond de culte de la personnalité.


Les défenseurs de l’autonomie zitounienne savent qu’il leur suffit de proposer un enseignement gratuit, financé essentiellement pas les généreux dons des plus missionnaires et des mécènes islamistes, pour supplanter le modèle étatique, tout en poursuivant un agenda dit de la « libéralisation » du secteur.


Le tout se fait à la faveur d’une « révolution conservatrice », selon l’expression de l’essayiste Samy Ghorbal, processus profondément réactionnaire qui fera de la Tunisie un petit satellite mimétique de l’Egypte d’Al Azhar, elle qui montra pourtant la voie aux autres révolutions arabes.


Seif Soudani