Tunisie. Remaniement des gouverneurs : Monastir fait de la résistance

 Tunisie. Remaniement des gouverneurs : Monastir fait de la résistance

A Monastir


On l’appelle déjà « la crise des gouverneurs ». Le remaniement de 5 gouverneurs, discrètement annoncé par la TAP samedi 24, a été accueilli par un rejet des habitants concernés, plus particulièrement à Monastir, ville symbole de la défiance à l’égard du nouveau gouvernement dominé par Ennahdha. 




 


Habib Sethom, Abdelmonem Sahbani, Mahmoud Jaballah, Abdelkader Trabelsi, et Hamadi Mayara ont été nommés samedi par Hamadi Jebali respectivement à Monastir, Zaghouan, Nabeul, le Kef, et Medenine.


Très vite, l’info circule selon laquelle Sahbani est un parent de Sami Dilou (cousins par alliance), l’actuel ministre des Droits de l’homme et de la justice transitionnelle. En réalité, l’ensemble des 5 nouveaux gouverneurs a été sélectionné parmi les cadres d’Ennahdha.


C’est sur place, au meeting de Béji Caïd Essebsi à Monastir, avant même l’annonce officielle, que nous apprenons que le gouverneur Hichem Fourati sera remplacé dans la journée. Le départ de ce très apprécié gouverneur, considéré comme « propre », n’étonne pas nos sources pour qui il allait à l’évidence payer cher le succès populaire et logistique du meeting Appel de la Nation. Un meeting destourien qui agace en haut lieu le nouveau pouvoir.


Pour les Monastiriens galvanisés ce jour-là par un esprit régionaliste et le grand retour des destouriens dans la vie politique, le message est clair : il s’agit pour Ennahdha de gâcher la fête et de rappeler à l’ordre des autorités locales considérées comme déloyales. Ils se jurent alors de se mobiliser lundi pour barrer la route à ses bureaux au nouveau gouverneur.


 


Un corps de plus en plus politisé


Ce n’est pas la première fois depuis la révolution que le corps des gouverneurs en Tunisie peine à accomplir sa mission ou même à s’installer suite à une nomination. Alors que la neutralité relative de l’administration a été unanimement saluée comme ayant contribué à la stabilité lors de la phase de transition, la dynamique révolutionnaire a rendu infernale la tâche de la plupart des gouverneurs des 24 gouvernorats du pays.


En province, les manifestations pour réclamer de l’emploi se font quasi quotidiennement devant les sièges des gouvernorats. Et il n’est pas rare que les mouvements de foule dégénèrent en une forme violente de démocratie directe, les habitants voulant désormais choisir leurs dirigeants locaux. 


Or Ennahdha est soupçonné de vouloir contrôler délégations et gouvernorats de la même façon que l’ex RCD avait utilisé jadis le potentiel électoral des « chouâab », cellules de l’ex parti unique disséminées sur tout le territoire pour asseoir une mainmise et garantir les résultats des élections. Technocrates hier, les gouverneurs sont aujourd’hui au centre de nouveaux enjeux politiques. Habitants et partis l’ont bien compris.


 


Habib Sethom, une personnalité controversée


De surcroît, le nouveau gouverneur de Monastir n’est pas n’importe quel sympathisant d’Ennahdha. C’est l’un des plus actifs. « L’homme a faim », nous confie un habitant de Monastir, décrivant ses ambitions politiques.


Sethom est un transfuge du PDP, dans lequel il a milité de 2006 à 2011, pour devenir un partisan de la 25ème heure d’Ennahdha, en février 2011. Il se présente sur la liste du parti islamiste comme candidat à la constituante dans la circonscription de Nabeul 1.


Des vidéos commencent à fuiter des archives sur les réseaux sociaux, le montrant survolté, plus qu’enthousiaste lors de sa campagne en faveur d’Ennahdha. Avant qu’il ne restreigne la confidentialité de son profil Facebook ce week-end, des internautes ont eu le temps d’y constater quelques postings publics pas très politiquement corrects.


L’homme y faisait part de remarques homophobes, diffamatoires et insultantes à l’égard de la marche « Aâtakni » d’octobre 2011, ou encore y vilipendait les habitants de Monastir qu’il qualifiait de païens vénérant une statue de Bourguiba.


Le personnage haut en couleurs s’est depuis acquitté d’un communiqué dans lequel il exprime son respect pour les Monastiriens et leur histoire. Cela n’a pas suffi à calmer les esprits : la situation est explosive aux abords du siège du gouvernorat ces dernières 48 heures.


Des militants et des milices pro Ennahdha sont venus perturber le sit-in des habitants en levant des slogans anti RCD, tentant ainsi d’assimiler toute contestation à la nostalgie de l’ancien régime.


Tard dans l’après-midi, des habitants de localités voisines sont venus en renfort prêter main forte aux anti Ennahdha, dans une atmosphère de guerre civile germée.  


La désobéissance civile à l’égard des nouveaux gouverneurs laisse présager du pire pour les mois à venir si rien n’est fait pour maintenir un semblant de neutralité dans ce corps sensible : une administration paralysée, et une défiance qui risque de contaminer la capitale, dans un scénario semblable à celui de la révolution du 14 janvier.


Seif Soudani