Tunisie – Réhabilitation des sièges d’Al Aridha : triomphalisme, apolitisme et karaoké
Dans un énième coup de théâtre post électoral en Tunisie, 7 des 8 sièges de la Aridha Chaâbya (Pétition populaire), d’abord invalidés par l’ISIE, ont été récupérés par la liste indépendante grâce à une décision de justice définitive, sans aucune possibilité de recours. Leader de la liste, Hechmi Hamdi n’a pas boudé son plaisir, en fêtant cette victoire inattendue sur sa chaîne privée, dans un style au goût toujours aussi discutable qui provoque l’indignation des uns et les railleries des autres. Pour autant, l’entité présidée par le personnage haut en couleurs redevient la 3ème force politique du pays. Une force avec laquelle il va falloir apprendre à composer…
Ainsi donc, à la manière d’une cour suprême ou de cassation, le Tribunal administratif de Tunis aura annulé la décision de la haute Instance supérieure pour les élections qui, au lendemain des résultats du scrutin du 23 octobre avait invalidé pas moins de 8 sièges remportés par la Pétition populaire pour la liberté, la justice et le développement, essentiellement en raison d’irrégularités de financement et de proximité avec l’ex RCD dissous. En donnant raison à quasiment tous les recours déposés par les candidats de la « Aridha », les juges bouleversent à nouveau les rapports de force parmi le trio de tête des vainqueurs de la Constituante.
Les résultats définitifs des élections donnent désormais 89 sièges à Ennahdha (qui perd 2 sièges suite à des recours devant le même tribunal). Al Aridha totalise finalement 26 sièges et se classe en 3ème position, devant Ettakattol à 20 sièges (qui perd mécaniquement 1 siège) et derrière le CPR toujours à 29 sièges. Le PDP perd lui aussi automatiquement 1 siège et n’en a plus que 16.
Pas d’idéologie, juste un score…
A vendre au plus offrant. Telle pourrait être la devise de la Pétition populaire qui se résumerait à un score, si l’on croit la rhétorique apolitique de son chef. Celui-ci a en effet déclaré, aussitôt l’annonce faite de la réhabilitation de ses sièges, que «…le devoir national nous dicte notre position : nous tendons une main pleine d’affection et de pardon aux autres vainqueurs des élections, en vue d’un partage du pouvoir. » Avant de menacer d’un ton mi triomphaliste, mi conciliant : « S’ils continuent à refuser de négocier avec nous, comme c’est le cas actuellement, alors tant pis : nous prendrons dès lors la tête de l’opposition à la nouvelle assemblée ».
L’homme qui, hier encore, rappelait tout ce qu’il avait fait pour l’islamisme en Tunisie durant sa carrière médiatique, en affirmant sans sourciller qu’ « une statue devrait être érigée à sa gloire par les nahdhaouis », serait donc prêt à nouer n’importe quelle alliance, au mépris des orientations politiques des uns et des autres, pourvu qu’il ait son mot à dire sur la nouvelle Constitution du pays.
Un opportunisme qui n’étonnera guère les plus fidèles spectateurs d’ « Al Moustaqilla » (l’indépendante), une chaîne qui aura été témoin au fil des années des revirements les plus improbables de l’apprenti sorcier politique, passant du soutien à Ennahdha, sa première famille politique, au plébiscite de Ben Ali, l’ex dictateur dont il se prévalait jadis de l’amitié intime.
Plus qu’un démagogue, un chanteur né !
Mais le mégalomane qui se voyait déjà président a d’autres talent cachés. Hier soir mardi, il ne s’est pas fait prier pour pousser la chansonnette, en entonnant en direct un chant liturgique pour fêter sa victoire judiciaire.
Ce n’est pas la première fois que sa chaîne à coloration télévangéliste de propagande politique se mue l’espace d’un instant en Star Academy de la chanson arabe, avec Hamdi comme seul candidat très applaudi par ses propres animateurs, à moitié surpris mais toujours aussi obséquieux s’agissant de féliciter le maître des lieux, même lorsqu’il se livre à ces exercices grand-guignolesques qu’il affectionne tant.
Des situations toujours plus grotesques et de grands moments télévisuels déjà « collectors » sur le web tunisien, qui éclaboussent au final ses propres électeurs se comptant par centaines de milliers, désormais cible favorite des railleries des réseaux sociaux.
Seif Soudani