Tunisie. Rédaction de la Constitution, la bataille de la transparence
Le grand public le sait peu, mais en marge de l’entame de la rédaction de la seconde Constitution tunisienne, se profile un nouvel enjeu au cœur d’âpres tractations, celui du déroulement de la rédaction elle-même, entre adeptes de la transparence, plutôt à gauche de l’hémicycle d’une part, et défenseurs d’un certain huis clos d’autre part.
Nous nous sommes entretenus au Bardo avec Nadia Chaabane, élue PDM France 1, dans les couloirs de l’Assemblée constituante, à propos du déroulé de l’écriture de la Constitution, entre deux sessions de travail de sa commission chargée des Instances constitutionnelles, l’une des 6 commissions spécialisées dans autant de chapitres de la future loi fondamentale du pays.
Cette militante politique de longue date, issue de la communauté tunisienne à Paris, ancienne de l’UGET et docteur en sciences du langage, a tout quitté pour revenir contribuer à l’écriture de l’Histoire de son pays d’origine.
C’est elle qui peu de temps après le coup d’envoi des travaux de l’ANC fut notamment à l’origine de la campagne « #7el», pour la promotion de l’ « open governance ». C’est donc tout naturellement elle aussi qui s’est illustrée mardi en faisant pression, lors d’une séance plénière mémorable, en faveur d’un maximum de transparence au sein des commissions dédiées, lors des travaux d’élaboration de la Constitution.
Des réflexes d’une autre époque
L’élue se heurte à des résistances, principalement venant d’élus Ennahdha, celles de Habib Khedher, rapporteur de la Constitution, et de Mehrezia Laabidi vice-présidente de la Constituante, qui présidait ce jour-là la séance.
Nadia Chaabane pensait la question déjà tranchée. Elle nous apprend en effet que l’article 58 du texte du règlement intérieur de l’ANC stipule très clairement que « les commissions peuvent décider, par vote à la majorité, du secret lors de leurs séances, à l’exception des séances en rapport avec la Constitution. »
Pourtant, mardi, la réponse à sa requête de faire participer le plus d’observateurs extérieurs possibles avait de quoi surprendre : Khedher émettait une fin de non-recevoir, tandis que Laabidi lui recommande de faire une demande écrite.
L’élue du Pôle n’en démord pas : elle estime que sa commission et les autres sont souveraines et libres d’organiser les visites des médias et de la société civile, de façon à ce que la genèse de la Constitution soit un exercice non seulement transparent mais aussi quasi participatif.
« Nous n’avons rien à cacher. La Constitution d’un pays, cela s’écrit par tout le monde, au vu et au su de tous, il faut que les gens se l’approprient, ce n’est pas quelque chose qui tombe du ciel ! », prône-t-elle.
L’élue fustige donc de vieux réflexes issus de l’ancien régime en Tunisie, une certaine pratique de la politique en catimini qui a vécu.
Elle ajoute que si les Tunisiens étaient en mesure de suivre ce processus, ils comprendraient mieux les lenteurs et difficultés auxquels les élus eux-mêmes font face : « On ne s’imagine pas toute la réflexion et la somme de travail de synthèse nécessaires parfois à la formulation de deux lignes dans une Constitution. Ce sont des mots qui auront un impact sur le quotidien de plusieurs générations à venir », rappelle-t-elle.
Celle qui a longtemps milité également en Afrique et contre l’Apartheid conclut : « L’écriture d’une Constitution est un évènement historique extraordinaire qui doit pouvoir être partagé et porté par tous. » Elle donne en exemplele modèle de l’Afrique du Sud, pays qui avait ouvert sa Constituante aux observateurs étrangers, ce qui en dit long sur un état d’esprit d’ouverture universaliste au reste du monde.
En attendant, Nadia Chaabane reste très active sur son blog personnel, une mine d’informations sur le déroulement de chaque journée de travail.
A peine engagé, le bras de fer en cours démontre à lui seul que dans la Tunisie post révolution, être élu ne signifie plus avoir carte blanche pour la durée de son mandat.
Propos recueillis par Seif Soudani