Tunisie. Que signifie l’écrasante victoire de l’UGET ?
Scènes de liesse en fin de journée hier jeudi dans la plupart des universités tunisiennes, à l’issue des premières élections des représentants des étudiants aux conseils scientifiques depuis la révolution. La large victoire de l’UGET n’est pas édifiante seulement sur les forces en présence dans l’Université. En coïncidant avec un début de crise au sein de la coalition au pouvoir, elle marque probablement aussi un tournant dans les rapports de force politiques en Tunisie. (Photo AFP)
Créée en 1985 notamment par l’actuel ministre des Transports issu d’Ennahdha, Abdelkrim Harouni, à l’époque l’un des militants islamistes les plus actifs dans les milieux étudiants, l’Union Générale Tunisienne des Etudiants (UGTE) avait tout pour agacer le principal syndicat étudiant, l’UGET, qu’elle provoque à commencer par le choix d’une appellation quasi identique.
Non contente de pousser le mimétisme jusqu’à s’appeler quasiment du même nom que ses rivaux de gauche, le syndicat étudiant islamiste tentera même de s’implanter par la force dans les fiefs historiques de l’Union Générale des Etudiants Tunisiens, notamment dans les facultés de Droit, avant d’être interdit et décimé sous Bourguiba et Ben Ali.
Aujourd’hui, l’UGTE relativise à juste titre son échec aux élections estudiantines. En à peine 6 mois, si les méthodes souvent à base d’intimidation n’ont pas changé, le syndicat renait de ses cendres après près de deux décennies d’absence, et s’offre malgré tout une percée significative.
Aux dernières nouvelles, l’UGET a annoncé les résultats partiels suivants :
En 1er cycle : UGET 194 sièges ; UGTE 30 sièges. En Master : UGET 56 sièges ; UGTE 4 sièges. Les indépendants s’intercalant entre les deux, en seconde position.
La fête s’est poursuivie jusque tard dans la soirée Avenue Bourguiba, où les partisans de l’UGET ont spontanément transformé leur victoire en fête populaire de rue, à laquelle se sont joints des sympathisants modernistes hors universités.
L’Université, laboratoire socio-politique à ciel ouvert
Mais si les résultats des islamistes en milieu étudiant sont loin d’égaler le triomphe électoral d’Ennahdha quelques mois plus tôt, ce n’est pas simplement faute de temps et d’organisation. Le vent est en train de tourner, contre le nouveau gouvernement à dominante islamiste, avec l’Université en vitrine à l’avant-garde des mutations sociales et politiques.
Au cœur de la crise actuelle de l’Enseignement supérieur, Moncef Ben Salem, ministre de tutelle, figure ultra conservatrice à l’autorité contestée dès sa nomination.
En début de semaine, les doyens des Facultés des Lettres ont publié un communiqué dans lequel ils mettent en garde contre le spectre d’une année blanche. Ils font porter la responsabilité au ministre, dont l’indulgence à l’égard de la mouvance salafiste a conduit aux blocages en cours, suite aux intimidations diverses pour imposer le port du niqab.
Or, lundi, le doyen de la Faculté des Lettres de la Manouba dénonce publiquement le fait que des intermédiaires lui ont été imposés dans l’affaire du niqab, dont un certain Oussama, qui s’avère être le fils de Moncef Ben Salem… Des pratiques népotiques qui ont vite fait de rappeler celles du RCD, ex parti unique démantelé, jadis très implanté dans les universités.
Hier, des slogans hostiles au ministre nahdhaoui, l’assimilant aux RCDistes, ont été lancés par les étudiants de la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, qui y célébraient la victoire de l’UGET. Dès le 4 février, l’homme faisait face à la défiance des étudiants de la Faculté de médecine de Sfax, région qui est pourtant son fief politique où il fut élu à la Constituante.
Les élections d’hier jeudi revêtent en ces temps troublés en Tunisie une importance toute particulière. Elles galvanisent le camp moderniste qui, se sentant en état de grâce, prépare un coup de force pour le 20 mars prochain. Un jour de fête nationale où l’incident de la profanation du drapeau par des étudiants salafistes sera encore présent dans tous les esprits.
Ce succès électoral est aussi un tournant pour ceux, de plus en plus nombreux, qui pensent que le bras de fer autour de la constitutionnalisation de la charia pourrait coûter à la coalition un désistement d’Ettakatol. Ce qui signifierait une motion de censure dès lors virtuellement acquise contre l’actuel gouvernement Jebali.
Seif Soudani