Tunisie – Publication du rapport de la commission anti corruption : Le grand déballage

 Tunisie – Publication du rapport de la commission anti corruption : Le grand déballage

Abdelfattah Amor

C’est un véritable pavé que les membres de la Commission nationale d’investigation sur la corruption et la malversation (CNICM) ont remis aux journalistes présents à la conférence de presse du vendredi 11 novembre. La veille, le rapport de leurs travaux avait été remis au président de la République par intérim Foued Mebazaa, puisque, ironie du sort, c’est l’ex président Ben Ali qui l’avait initialement commandé quelques jours avant sa fuite. Mais derrière une apparente exhaustivité, les quelque 500 pages rendues publiques n’ont sans doute couvert qu’une partie d’une vérité qui, même si elle est non négligeable, ne pouvait rendre compte des dérives de tout un système de corruption généralisée.

C’est une commission visiblement sous pression qui a présenté aux médias son rapport très attendu vendredi dernier. Il y avait d’abord la pression du temps : quelques mois seulement pour enquêter sur plus de deux décennies de dérives autoritaires et mafieuses d’un régime sans contre-pouvoirs ni mécanismes de contrôle. Le tout dans une dynamique révolutionnaire exigeant des comptes au plus vite, celle aussi d’une opinion avide de nouvelles révélations.

Comme pour se justifier d’emblée, son président le juge Abdelfattah Amor a tenu à préciser non sans une certaine auto satisfaction que des millions de dinars d’argent détourné ont été récupérés au profit des caisses de l’Etat au terme de ces travaux.

Par ailleurs près de dix mille requêtes ont été adressées à sa commission. Seulement 320 d’entre elles ont été déférées devant le ministère public à ce jour. Le mandat de la commission est d’ailleurs loin d’être terminé, malgré l’ambiance de cérémonie de clôture qui prévalait.

Au programme notamment, délit d’initiés, appels d’offres truqués, abus de pouvoir, corruption de magistrats, détournement de biens publics, fraude fiscale, vol de pièces archéologiques patrimoine de l’Humanité, etc.

Les secteurs bancaires et de l’immobilier, particulièrement touchés

Particulièrement abondantes, les pièces à conviction accablantes concernant la fraude dans le secteur bancaire et financier dans les 142 pages d’annexes du document. Abdelfattah Amor a révélé que les établissements bancaires publics et privés « ont été victimes de chantages exercés par la Banque Centrale de Tunisie qui leur imposait parfois de renoncer à leurs dettes impayées. »

C’est ainsi que l’on découvre par exemple que la banque STB a été priée de faire preuve de  plus de « compréhension » dans le remboursement des créances de Hannibal TV, son PDG  Larbi Nasra (proche du président par alliance) ayant demandé le report voire l’annulation pure et simple d’une dette fiscale en millions de dinars.

La Commission ne s’est pas contentée d’étudier les requêtes, elle a en outre ouvert des dossiers importants et organisé des visites de terrain, telle que celle du palais de Carthage et du Palais de Sidi Dhrif. « Construit sur un terrain exproprié illégalement par le président déchu, le réaménagement de ce terrain a occasionné au ministère de la Défense nationale une perte de 4 millions de dinars. »

Un déballage plus politique que judiciaire ?

Mis à part Abdelfattah Amor, un juge critiqué pour une opposition molle à l’ancien régime et ayant déjà fait l’objet d’une mini controverse dès le mois de février 2011 ( lorsqu’on lui reprocha une justice spectacle lors de la très médiatisée perquisition des palais présidentiels, alors même qu’une montre Rolex d’une grande valeur était aperçue à son poignet), les autres membres de la commission jouissent globalement d’une réputation de grande intégrité, à l’image de Néji Baccouche, membre de la sous-commission technique unanimement salué pour sa compétence.

Pour autant, les critiques fusent déjà de la part de certaines parties épinglées et de quelques éditorialistes de la presse locale. En cause, une tendance à la fois à l’inquisition et à l’approximation, s’agissant des longues pages consacrées aux interventions en faveur de tel ou tel proche du pouvoir.

Sulfureuses et souvent fatales pour la crédibilité des intéressés, comme celles concernant Abdessalem Jrad, secrétaire général de l’UGTT, ou encore de Hechmi Hamdi, vrai faux opposant jouissant des largesses du régime, ces demi-révélations posent le problème de la non illégalité au regard de la loi.

En l’absence de preuves accablantes, ce sont des éléments certes à charge pour qui veut instruire un dossier au pénal, mais dont le souci du détail trahit une volonté politique et facile de tout mettre sur le dos d’un clan précis. Le rapport pèche donc par amateurisme pour ses détracteurs : en voulant trouver un coupable unique, les enquêteurs ont aussi échoué à faire l’autocritique d’une justice aux ordres.

Ce qu’ils ne disent pas non plus dans leur volet consacré aux recommandations finales, c’est que c’est tout un système impliquant des milliers de cadres et de Tunisiens ordinaires qui s’est rendu coupable de dérives à tous les niveaux décisionnels, des plus petites administrations au plus haut de la hiérarchie. « C’était ainsi et puis c’est tout », comme disent encore beaucoup d’entre eux. Une réforme des mentalités sera donc le préalable à toute autre réforme préconisée par un rapport CNICM. Un rapport qui était nécessaire à l’apaisement, mais certainement pas suffisant ni révolutionnaire.

Seif Soudani