Tunisie. Procès Tunisair. L’épineux cas Ahmed Smaoui
L’affaire Tunisair, c’est un déficit abyssal de 113 millions de dinars enregistré en juin 2011 (contre un déficit de 28 millions à la même date en 2010). Mais les états financiers de la compagnie aérienne étatique ne sont pas les seuls en cause. L’affaire agite aussi la scène politique. Pratiquement tous les ex PDG de l’entreprise, ainsi que certains ex directeurs, sont soupçonnés d’avoir couvert des malversations durant l’ère Ben Ali. Un nom figurant dans cette liste noire choque une partie de l’opinion : celui d’Ahmed Smaoui, l’une des figures historiques du militantisme anti dictature. Ses partisans dénoncent une justice politisée et revancharde.
En s’attaquant au dossier Tunisair, la justice post révolution passe à la vitesse supérieure. L’initiative judiciaire émane du ministère de la Réforme administrative, via le chargé du contentieux avec l’État, lui-même saisi par la Commission d’enquête sur la corruption.
Au cœur du dossier, des emplois fictifs, rémunérés jusqu’en Europe, plus particulièrement celui dont a bénéficié Saloua Mlika, la sœur de l’ex ministre Mehdi Mlika et nièce du président déchu Ben Ali, précisément durant le mandat d’Ahmed Smaoui qui ne peut être confronté à l’accusée actuellement en fuite à l’étranger.
Ahmed Smaoui, « un homme intègre » selon ses collaborateurs
Ils sont au total 4 ex PDG de Tunisair à être sur la sellette pour gestion frauduleuse aujourd’hui. Si le sort de Dekhil, Néji, Haj Ali et Chettaoui, déférés ce vendredi matin à la prison de Mornaguia, laisse relativement indifférents les Tunisiens, il en va autrement de celui de Smaoui, ex Perspectiviste jouissant d’une grande aura de popularité à Tunis et ailleurs.
Torturé 11 jours durant sous Bourguiba, il fut laissé pour mort le 19 mars 1968 à Cité Hsen Kassen. Ses proches savent que son corps en porte encore les traces sordides (ongles arrachés, brûlures d’électrodes, etc.).
Incarcéré 6 fois en prison, dont plusieurs années purgées à Borj Erroumi pour « complot contre la sûreté de l’Etat », le nom de cet ex opposant politique « fait tache » dans cet épineux volet de l’assainissement post révolutionnaire, où la troïka au pouvoir est suspectée au mieux d’accusations à l’emporte-pièce, au pire de justice spectacle.
Une pléiade de personnalités publiques s’est mobilisée, aussitôt l’annonce faite de sa convocation devant un juge d’instruction, menottes aux poignets. Parmi elles étaient présents ce matin devant le Palais de justice de Bab Bnet, Ahmed Nejib Chebbi, Saïd Aïdi, Cyril Grislain Karray, et l’éditeur Karim Ben Smail. Tous se disent scandalisés par une justice de règlement de comptes, qui humilie indistinctement les activistes d’hier.
Un homme à la santé fragile
L’état de santé de Smaoui vient compliquer davantage la donne. Souffrant d’asthme, sa santé a commencé à se détériorer suite à son limogeage par un Ben Ali en fin de règne pour avoir refusé d’accorder le marché de climatisation de Sevenair à l’un de ses gendres.
La veille de sa comparution, il est victime d’un malaise cardiaque et doit être hospitalisé d’urgence. C’est en ambulance que le vieil homme de 73 ans a tenu à se présenter au tribunal ce matin. Il est laissé en état de liberté, mais le procès se poursuit demain et en est toujours aux auditions des prévenus.
En attendant, le sort de Smaoui continue de préoccuper de nombreux Tunisiens. Tragique fin pour l’un des pères de l’Office National du Tourisme Tunisien, celui qui a participé aussi à la fondation de l’UGET, depuis Paris, où il fit ses classes d’opposant de la première heure aux côtés de son beau-frère Mohamed Charfi.
Seif Soudani