Tunisie. Procès Nessma – Persépolis, le feuilleton politico-judiciaire continue

 Tunisie. Procès Nessma – Persépolis, le feuilleton politico-judiciaire continue

Les Salafistes ont traité

Reporté une première fois le 17 novembre 2011, le procès Nessma dit de l’affaire Persépolis avait repris hier 23 janvier pour être ajourné une seconde fois au 19 avril prochain. Si le caractère procédural a primé sur une séance sans grand intérêt, ce sont les évènements de violences diverses en marge de l’audition qui ont marqué une journée par ailleurs riche en rebondissements politiques.

 

Rappel des faits :

Peu avant les élections de la constituante en octobre 2011, Nessma TV, chaîne à la ligne éditoriale considérée comme la plus moderniste du paysage audiovisuel tunisien, choisit de diffuser le film franco-iranien Persépolis, doublé en dialectal tunisien, histoire de sensibiliser aux dérives de l’instrumentalisation du religieux en politique.

Très vite, toutes sortes de théories de la conspiration fleurissent, prêtant à la chaîne diverses intentions machiavéliques spéculées. C’est alors que le ministère public, 144 avocats autoproclamés gardiens de la vertu et de l’ordre moral, ainsi qu’un groupe de citoyens, se constituent partie civile et portent plainte contre la direction de la chaîne, au motif que le film contient une scène représentant dieu, un blasphème en islam.

Nabil Karoui, PDG de Nessma, et deux de ses collaborateurs en charge des programmes comparaissent donc pour « atteinte au sacré et aux sentiments religieux ».

Hier lundi, c’est à la demande de l’avocat de l’une des doubleuses du film, sans lien avec Nessma mais poursuivie aussi, que le juge a reporté le procès pour examen du dossier.

Alors que la première audience avait été ouverte aux médias, cette fois c’est sur ordre du parquet que la seconde leur a été fermée. Une décision interprétée par beaucoup comme un signal politiquement inquiétant, celui d’une justice qui favorise le huis clos dans un procès aux relents déjà suffisamment inquisitoires.

 

Violences de rue ordinaires, ou la banalisation du fascisme

Très tôt le matin, un attroupement encore plus important que la dernière fois d’anti et de pro censure se forme devant le tribunal, comme pour confirmer que les enjeux dépassent de loin le cas Nessma TV : ils sont sociétaux, religieux et politiques.

Mus par leur esprit missionnaire, les intégristes sont clairement plus nombreux. Ils relèguent les libertaires aux confins de la rue Bab Bnet.

Une fois encore, des incidents plus ou moins graves vont alors émailler la journée, allant de l’intimidation à la brutalité pure et simple.

Un groupe de salafistes aux visages désormais familiers était muni d’une liste de personnalités publiques qu’il s’agissait manifestement de repérer aux abords du tribunal à la faveur d’un jeu de chasse aux sorcières.

Sont dénoncés tour à tour par mégaphone en tant que « mécréants », « athées », « collabos » et « ennemis de la religion », Halim Massoûdi, journaliste à Nessma, aussitôt violemment pris à partie par une vingtaine de barbus ; Zied Krichen, journaliste au journal le Maghreb, attaqué de dos, et l’intellectuel Pr Hamadi Redissi, qui reçoit un coup de tête alors qu’il tentait de défendre son confrère.

Même la militante féministe Saïda Garrach n’échappera pas à des violences physiques.

Déployées en sous-nombre, les forces de l’ordre se contentent curieusement soit d’observer, soit d’arbitrer mollement en dernier recours les débordements les plus violents, en faisant en sorte que les agressés, échappant de peu à un lynchage en règle, se réfugient dans le poste de police le plus proche. Une scène surréaliste où les agressés étaient quasiment jetés en détention provisoire tel des fauteurs de trouble.

 

La valse des communiqués

Début d’après-midi, s’ouvre le ballet des communiqués de condamnation, rappelant l’ère Ben Ali où l’art du communiqué politique s’était longtemps substitué aux actes. Sorte de tautologie où personne ne veut, évidemment, paraître cautionner la violence, ne serait-ce que par son silence.

A l’indignation d’Ettakatol répond celle d’Ennahdha par le biais de Hamadi Jebali dans un premier temps, qui intervenait devant les élus de la Constituante et a évoqué en fin de discours les évènements de la matinée : « Les agresseurs seront punis, quelles qu’en soient les appartenances politiques, et la violence est intolérable, quelles qu’en soient les motivations », lâcha-t-il d’un ton ferme.

 

Les contradictions d’Ennahdha

La deuxième condamnation nahdhaoui prendra la forme d’un communiqué en bonne et due forme.

Mais les propos apaisants de son contenu ont du mal à faire oublier un autre communiqué Ennahdha, daté du 9 octobre, pour le moins contradictoire avec celui de l’après élections. Signé du même Jebali, il est titré « non aux atteintes à la foi du peuple », accusant Nessma de provocations délibérées.

Cela illustre une certaine hypocrisie du parti islamiste, du moins un dilemme constant : vouloir contenter sa base électorale d’une part, et afficher une position publique respectable d’autre part.

Si les professionnels de la communication comme Samir Dilou, porte-parole du gouvernement, sont prompts à faire les sorties médiatiques d’usage, Ennahdha compte encore dans ses rangs quelques irréductibles de la charia aux interventions aussi tranchées que catastrophiques pour sa com’.

Il en est ainsi de Sadek Chourou, élu Ennahdha des plus radicaux, qui n’y est pas allé par quatre chemins hier à l’Assemblée. C’est en effet carrément une fatwa de prédicateur obscurantiste à laquelle il s’est livré, devant la stupéfaction des élus même les plus à droite de l’hémicycle.

Citant un verset coranique, il a appelé à ce que « les ennemis du peuple » que sont pour lui les auteurs de la contestation sociale, soient « soit tués, soit crucifiés, soit châtiés par amputation de leurs bras et de leurs jambes », car ils mériteraient le même sort que « les ennemis de dieu et son prophète ».

Une déclaration digne des prêches les plus fondamentalistes et qui, en l’absence de rappel à l’ordre des dignitaires du parti, continue d’alimenter le double discours typique d’un islam politique qui n’a pas encore procédé à sa réforme.

Dans ces conditions, il ne faudra pas s’étonner que prospèrent violences et impunité, policiers et militants violents recevant des signaux contradictoires, là où il faudrait une volonté politique claire de faire prévaloir la loi de la République.

Seif Soudani