Tunisie – Première session historique Assemblée nationale constituante : ambiance tendue au Bardo
10h du matin ce mardi à Tunis, route du Bardo. Il est quasiment impossible d’avancer en voiture à moins d’un kilomètre à la ronde autour du siège de l’ancienne Chambre de députés au Bardo, où la première réunion de l’Assemblée nationale constituante (ANC) qui devait s’ouvrir initialement à 10h00 se tiendra finalement avec deux heures de retard.
Les embouteillages monstres y sont sans doute pour quelque chose. Ils sont provoqués par les quelques milliers de représentants de la société civile, dont des familles des martyrs de la révolution, qui ont organisé un rassemblement à teneur très contestataire pour faire pression sur l’assemblée fraîchement élue, devant son siège.
Un parfum de seconde révolution
La manifestation restait en grande partie improvisée, comme en témoigne la relative désorganisation d’une foule hétéroclite qui avait des demandes souvent antagoniques. Très vite, les forces de l’ordre doivent établir un cordon de sécurité autour de l’enceinte de l’Assemblée, afin de prévenir un éventuel envahissement.
Si des ONG aussi puissantes qu’Amnesty International avaient déployé une logistique impressionnante de discipline et de coordination, avec une présence très remarquée dès les premières heures, plus loin, à des slogans tels que « Rien n’est plus sacré que notre liberté », répondaient d’autres slogans dissonant et religieux comme « l’islam doit être la source du droit ».
Globalement, c’est tout de même le camp libertaire et moderniste qui pouvait se prévaloir de la plus forte présence, grâce notamment aux efforts fédérateurs du « Mouvement du 24 octobre ».
Un mouvement né comme son nom l’indique au lendemain de l’annonce du scrutin du 23 octobre dernier, inquiet d’une éventuelle dérive théocratique, et qui entendait aujourd’hui faire entendre sa voix. Une voix souvent menaçante, mettant en garde la nouvelle assemblée contre toute velléité autoritaire à l’avenir.
Parmi les slogans qui reviennent le plus, ceux faisant référence au « 6ème califat » promis récemment par Hamadi Jebali d’Ennahdha, souvent en les raillant. Par ailleurs, l’entrée de Souad Abderrahim, autre dignitaire nahdhaoui, a été très mouvementée et s’est faite sous les insultes et les cris de « dégage Souad ».
Fait marquant lors des quelques heures de notre présence sur place, les débats spontanés qui éclataient çà et là entre manifestants, parfois de camps opposés, parfois aussi plus que véhéments, mais toujours de façon civilisée et non violente. C’est sans doute là un signe encourageant qui tend à confirmer que la jeune démocratie tunisienne en devenir est en train de mûrir doucement mais sûrement.
Pendant ce temps-là à l’ANC…
L’ambiance à l’intérieur était plus solennelle, avec une première session inaugurale à caractère très protocolaire mais non moins émouvant.
Le programme, perturbé par quelques erreurs de jeunesse, a consisté en un moment historique d’un hymne national chanté les larmes aux yeux par certains représentants à la nouvelle Assemblée, puis de la récitation de la Fatiha en hommage aux martyrs de la révolution.
S’en est suivi l’allocution du membre le plus âgé de l’Assemblée, allocution très chahutée, des élus du PDP reprochant au président de la séance d’outrepasser ses prérogatives en accaparant la parole. Un moment houleux qui est venu rappeler que l’apprentissage de la démocratie sera probablement encore long et douloureux.
En attendant, le rassemblement à l’extérieur de l’ANC ne s’est toujours pas dispersé à l’heure où nous écrivons ces lignes, et certains comptent même camper sur place pour plusieurs jours.
Voilà qui promet un bras de fer pris très au sérieux par les forces en présence, dont l’un des enjeux majeurs est de faire figurer un certain nombre d’acquis sociaux et de libertés individuelles dans la nouvelle Constitution.
Seif Soudani
Reportage photo : http://www.facebook.com/media/set/?set=a.325446710802620.93148.120372914643335