Tunisie – Premier meeting de l’UPL : un air de déjà vu…

 Tunisie – Premier meeting de l’UPL : un air de déjà vu…

L’arrivée de Slim Riahi. Vidéo LCDA.

Les dernières techniques de communication politique étaient à l’œuvre hier soir au 1er meeting populaire de l’Union Patriotique Libre.

Les dernières techniques de communication politique étaient à l’œuvre hier soir au 1er meeting populaire de l’Union Patriotique Libre. Au programme : pléthore de moyens, entrées sur scène en grande pompe, écran géant, effets spéciaux, formules prémâchées, mais aussi les prémices d’un certain culte de la personnalité.

Fondé le 19 mai dernier par l’homme d’affaires ayant fait fortune dans le secteur pétrolier en Libye et en Grande-Bretagne, Slim Riahi, qui dit avoir injecté 3 millions de dinars (1.5 millions d’euros) dans les caisses du parti pour lui donner une première impulsion, l’UPL n’avait ouvert les adhésions au parti que le 1er septembre.

Après son imposante compagne pub « tawwa » (promettant littéralement des solutions « immédiatement »), il était surtout critiqué pour n’avoir pas encore organisé de grand meeting à l’instar d’autres grands partis, permettant de juger de la réalité de sa base militante, en nombre et en enthousiasme, à trois semaines des élections de la Constituante.

C’est chose faite depuis hier, où dès 15h des milliers de partisans ont envahi un Palais des sports d’El Menzah de Tunis archi comble pour assister à ce qui s’apparente davantage à une grand messe populaire. Celle-ci a surpris les observateurs par l’ampleur des moyens déployés, mais aussi par l’enthousiasme généré autour de la figure de Slim Riahi qui restait relativement méconnue jusqu’ici, si ce n’est quelques rares apparitions médiatiques visiblement très étudiées.

La séduction par l’ostentation

Arrivés sur les lieux en début d’après-midi, pas de doute, tout indique que nous sommes devant un rassemblement de la droite libérale la plus décomplexée : limousines allemandes de luxe stationnées bien en évidence, grands colosses assurant la sécurité, cadres du parti aux allures de golden boys venus du monde de la finance, et jolies hôtesses tendant des brochures. Le décor est planté. Les gradins, en revanche, ont une coloration plus populaire, voire prolétaire. Un paradoxe qui n’est pas sans rappeler, du moins dans cet aspect précis, le mouvement des Tea Party américains, où des citoyens appartenant aux classes laborieuses sont partisans d’une doctrine du moins d’Etat possible, ce qui semble pourtant jouer contre leurs propres intérêts (couverture sociale, etc.).

Même si dans ses interventions médiatiques le leader du parti assure avoir hérité de son père, un nationaliste nassériste ex opposant de Bourguiba, son attachement à l’identité arabo-islamique, ce qui frappe à l’entrée du Palais des sport, c’est l’ambiance résolument occidentalisée qui y règne : musique d’ambiance rock, look sexy et informel de certaines militantes, rien ne semble indiquer que l’UPL s’embarrasse d’identité, du moins dans sa com’.

Cependant ce décalage entre les apparatchiks du parti et l’audience survoltée a eu un prix. Nombre de jeunes spectateurs étaient vraisemblablement des habitués des défoulements des stades de football, et le peu de sensibilisation à l’action politique durant les 23 dernières années a achevé de faire le reste : le résultat fut qu’aucune femme n’a pu s’exprimer à la tribune sans être chahutée, sifflée, harcelée de façon prolongée.

Le même sort sexiste fut réservé à Houda Aouni, membre fondatrice du parti, et aux figurantes apparaissant dans les spots pub du parti qui ont ouvert les festivités (ou plutôt les hostilités).

Le parti d’un homme

Après une brève présentation du programme socio-économique du parti par son débonnaire porte-parole, le clou du spectacle fut l’entrée en scène de Slim Riahi, véritable entrée de star : surprotection sécuritaire, bains de foule, effets de lumière, etc.

Son discours en lui-même, assez long, versait souvent dans l’auto satisfaction, la glorification du parti et son potentiel, et encore une fois dans le mépris affiché des idéologies, prétendant être le parti du pragmatisme, ni de gauche, ni de droite. Des piques en direction d’Ennahdha ont aussi été lancés : « Nous n’avons pas besoin d’un modèle turc, l’ère de l’Empire ottoman est révolue ».

Une fois sur scène, beaucoup auront remarqué la ressemblance parfois troublante, poussée jusqu’au mimétisme, avec la communication de l’ex parti au pouvoir. De l’ostentation générale, aux postures et gestes et même les chauffeurs de salle qui le coupaient opportunément avec des slogans et formules préparées d’avance : tout avait un air de « Benalisme » déjà vu.

Beaucoup d’observateurs présents hier étaient sans doute curieux de voir l’accueil que les Tunisiens réserveraient au parti que les derniers sondages donnaient à des intentions de vote supérieures à des partis bien plus anciens et / ou mieux implantés dans le pays (Ettajdid, CPR, Afek, etc.).

Mais le meeting, évidemment très partisan, ne permettait pas de se faire une idée claire, d’autant que les pratiques politico-caritatives relevées à l’intérieur du pays où l’UPL distribue des cartons de denrées alimentaires aux nécessiteux ont continué hier aussi : beaucoup de sacs de goodies et des milliers de sandwich ont en effet été distribués au cours de la soirée.

Le plus préoccupant reste un culte de la personnalité évident, assorti d’un esprit de plébiscite qui fait du reste des cadres du ce parti d’un seul homme, d’illustres inconnus pour le grand public. Du coup, même en étant moderniste et en prétendant combattre l’extrémisme religieux, Slim Riahi part avec deux handicaps évidents pour ses aspirations politiques (et sans doute présidentielles, à terme) : celui d’un déficit de crédibilité lorsqu’il se pose en alternative au présidentialisme et au parti unique d’antan qu’il fustige, et celui, surtout, d’une image qui rappelle beaucoup trop aux Tunisiens les très impopulaires grandes fortunes ayant fait de la Tunisie non pas une économie moderne et libérale de marché mais le lieu de tous les monopoles et des dérives népotiques.

Reste que le « modèle berlusconiste » qui se maintient encore dans l’Italie voisine peut encore en théorie donner de l’espoir aux UPListes de pouvoir être dans la course, parmi les formations qui comptent aux prochaines élections.

Seif Soudani