Tunisie. Premier entretien télévisé en tant que Premier ministre : Jebali s’est voulu rassurant
Sous le feu des critiques aussitôt constitué, le gouvernement Jebali a répondu par le biais de son propre chef hier mardi soir sur la TV nationale. Interviewé pour la première fois en sa qualité de Premier ministre, Hamadi Jebali a exposé pendant une heure les grandes lignes de la politique qui attend la Tunisie pour l’année et demie à venir sur une multitude de dossiers, à défaut d’un programme précis. Décryptage.
Passées les amabilités d’usage, les deux journalistes du service public entrent dans le vif du sujet. Sur le choix des membres du nouveau gouvernement d’abord, face à l’accusation de nominations partisanes, Jebali botte en touche. Pour lui, dans toutes les démocraties, c’est toujours « le parti vainqueur des élections » qui se taille la part du lion en termes de nombre de ministres.
Ce raisonnement a tout d’un sophisme si l’on considère que nous sommes au lendemain d’élections non pas législatives mais d’une Assemblée constituante. Une entité qui, même si elle est aujourd’hui la seule à jouir de la légitimité des urnes, aurait pu désigner davantage de compétences indépendantes et de technocrates, même issus de partis hors troïka, pour le salut du pays en cette période critique.
Jebali a ensuite reconnu que la représentation féminine était bien en deçà des attentes, quoique supérieure à celle du gouvernement provisoire précédent. « Trois femmes, c’est effectivement peu et cela ne fait pas honneur à la femme tunisienne », a-t-il concédé, avant d’ajouter que ce manque sera compensé au sein de l’administration publique.
Dossiers économiques : une somme de déclarations d’intention
Concernant l’absence de programme détaillé à ce jour, Jebali a prétexté la préparation encore en cours du budget 2012. « Nous publierons une feuille de route détaillée après le vote du budget ».
Il a cependant d’ores et déjà déclaré qu’un dépassement du seuil des 6% de déficit public ne sera pas toléré, ne serait-ce que pour l’image de la Tunisie vis-à-vis de ses partenaires.
Jebali a malgré tout répondu quant aux questions relatives aux ambitions de son gouvernement en termes de croissance : « L’ancien gouvernement avait annoncé une prévision de croissance pour 2012 comprise entre 4% et 4,5%, soit 50 000 à 60 000 créations d’emplois. Nous ambitionnons de nous aligner sur ces chiffres ».
Des chiffres qui semblent très ambitieux mais pas irréalisables pour une croissance tunisienne à 0,2% aujourd’hui, après avoir été négative en 2011.
Une politique étrangère décomplexée
A propos de la politique étrangère particulièrement attendue au tournant sous règne islamiste, Jebali a voulu rassurer. Il a insisté sur le fait que la Tunisie ne pourrait en aucun cas se passer de l’Union Européenne en tant que partenaire traditionnel privilégié.
En revanche, les « partenaires arabes frères ont été délaissés par le passé » selon lui, et « la volonté du nouveau gouvernement sera de les réhabiliter » a-t-il ajouté.
Face à la question sensible et réitérée de l’ingérence du Qatar, Jebali persiste et signe : il qualifie d’ « irresponsables » ceux qui refusent l’aide économique de ce pays et dit ne pas comprendre cette attitude dont il suggère qu’elle serait ingrate.
Or, ce qui est ici passé sous silence, ce sont à l’évidence les motivations idéologiques d’une telle aide, manifestement conditionnée à la promotion d’un islam politique rigoriste et ultra conservateur.
Possible nouvelle mainmise sur les médias
Quant au dossier de la réforme des médias du secteur public, Jebali n’a pas rassuré non plus ses interlocuteurs, en campant sur sa position de la nécessaire création d’une autorité élue, sur le modèle du CSA français (Conseil supérieur de l’audiovisuel), mais dont la vocation serait de « faire respecter la volonté du peuple et son droit à des médias représentant le souhait de la majorité ».
Non seulement Jebali continue à insinuer que les médias sont tenus par des minorités agissantes, ce qui en soi est une idée vaguement populiste, mais il se proclame de fait comme le représentant de la volonté populaire du plus grand nombre. Cela traduit une conception du rôle des médias potentiellement dangereuse, car versant déjà dans une forme d’autoritarisme.
Qui peut en effet prétendre savoir à quoi correspond réellement une telle volonté, et surtout si ses détenteurs aujourd’hui sont les mêmes demain.
Seif Soudani