Tunisie. « Orphelins de Bourguiba et héritiers du prophète », l’ambitieux essai de Samy Ghorbal
Alors que certains déplorent une démission des intellectuels de la vie politique à un moment charnière où on a plus que jamais besoin d’eux, on découvre que certains soldats de l’ombre, à l’image de Samy Ghorbal, n’ont eu de cesse d’œuvrer en silence, mais en intellectuels engagés, à la promotion intelligente d’un certain nombre d’idéaux universels. Il publie son premier ouvrage aux éditions Cérès.
Né en 1974, diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et spécialiste du Maghreb, Samy Ghorbal a été journaliste à Jeune Afrique, entre 2000 et 2009. Il s’est engagé en politique après
« Orphelins de Bourguiba & héritiers du prophète » est une sorte de « coming out ». Un pavé dans la mare, mûri plusieurs années durant, qui sonne comme une révélation. Samy Ghorbal, s’y révèle au grand public à travers un essai évènement qui présente à la fois l’assurance d’un manifeste et la pertinence d’un état des lieux lucide sur son époque.
Un texte qui a la force tranquille d’un travail exhaustif, extrêmement bien sourcé, à mi-chemin entre un essai philosophique et une étude historique.
Manifeste universaliste parce que porteur des espérances de toute une génération dont il cristallise les craintes et les espoirs. Pessimiste de prime abord, s’agissant du constat d’échec des forces progressistes en Tunisie, l’essai ne fait pas que s’achever sur une note d’espoir et de foi en la révolution tunisienne malgré tout.
Il explique, décortique, démystifie les raisons d’une défaite somme toute prévisible des modernistes tunisiens. L’homme sait de quoi il parle, lui qui a été un véritable « insider », en coulisses lors de la transition démocratique en tant que conseiller politique de Néjib Chebbi. Il était à ce titre aux avant-postes d’un processus électoral riche en enseignements.
Un éclairage nouveau sur le particularisme du modèle tunisien
Dès l’introduction, l’auteur, plutôt humble, ne fait pas mystère de la vocation de son livre à vulgariser les concepts. Une façon de se mettre à l’abri du piège de l’abstraction à outrance. En réalité, rarement auteur n’aura aussi bien cristallisé les subtilités du bourguibisme en tant que doctrine politique fondatrice de l’Etat tunisien moderne.
Derrière la tentation, en apparence, d’un parti pris pro bourguibiste, l’auteur porte un regard sans complaisance sur certains choix ayant présidé à la genèse de la nation tunisienne au lendemain de l’indépendance, notamment l’article 1 de la première Constitution, un article au cœur de l’essai, en ce qu’il concentre des enjeux aussi considérables qu’inavoués.
Surtout, l’essai démontre à quel point l’ex dictateur Ben Ali a été l’allié direct de l’islamisme, sorte de dernier cadeau empoisonné d’une dictature, où autoritarisme, instrumentalisation du religieux et culte de l’identité ont dévoyé la modernité et fait le nid du succès d’Ennahdha. Un parti qui est du reste scruté, à l’abri de la diabolisation, en en explicitant l’étendue de l’évolution.
Bien plus qu’une simple appropriation d’une quasi injure, « orphelins de Bourguiba », l’ambitieux essai s’attaque à des thèmes aussi complexes que la place de la religion dans l’Etat au sein de l’exception tunisienne qu’il analyse et cerne avec brio.
De la tentative de sécularisation, aux crispations paradoxales autour de l’obsession identitaire dont sont otages les acteurs de la classe politique, en passant par l’infondé procès d’intention fait à des modernistes en réalité timides, tous relativement conservateurs sur l’article 1, l’essai esquisse quelques solutions et autant de tentatives de dépassement de ce que Ghorbal appelle l’impossible cohabitation, ce blocage qui menace une nouvelle Constitution tunisienne en devenir.
Seif Soudani
Evènements en marge de la sortie du livre :
– Signature demain Samedi 28 janvier, à 17h00, Librairie Mille Feuilles,
– Conférence-débat, mercredi 1er février, 18h30, à Tunis (Menzah 5) : Rencontre autour du livre organisée au local du PDP « 3M », à côté du restaurant Kheiredinne, à Carnoix.
– Participation au 18ème « Maghreb des Livres », samedi 11 et dimanche 12 février, à l’Hôtel de Ville de Paris. Une séance de dédicaces est prévue le dimanche 12 février, entre 12h15 et 13h15.