Tunisie. Mustapha Ben Jaâfar défend sa chapelle

 Tunisie. Mustapha Ben Jaâfar défend sa chapelle

La popularité de Mustapha Ben Jaâfar a commencé à fondre comme neige au soleil au lendemain de son choix de s’allier à Ennahdha. Photo Fethi Belaïd / AFP.


Mustapha Ben Jaâfar est l’un des hommes les plus influents de la Tunisie post révolution, mais aussi le moins médiatisé des « 3 présidents » de la troïka au pouvoir. Chacune de ses sorties médiatiques bat des records d’audience malgré son impopularité croissante. Diffusée simultanément sur 3 chaînes nationales, son interview télévisée de dimanche (plus d’une heure) n’a pas dérogé à la règle : intervenant en pleine crise institutionnelle et politique, elle suscite de nombreuses réactions sur le web et chez l’opinion, oscillant souvent entre l’indignation et le dépit. Décryptage.

 


Celui qui aime à répéter en off et à l’Assemblée constituante qu’il préside qu’il maintiendra le cap « quel qu’en soit le prix à payer » ne croyait pas si bien dire. Sa popularité a commencé à fondre comme neige au soleil au lendemain de son choix de s’allier à Ennahdha pour une gouvernance de salut national. Erodée, sa crédibilité ne s’en est jamais remise, n’ayant pas tenu parole sur l’impossibilité de son parti social-démocrate de s’unir aux islamistes.


Mais s’il était attendu au tournant en cette conjoncture de tensions politiques accrues, c’était en sa qualité de « sage » de l’ANC, dont la réaction tardait face aux multiples polémiques qui agitent le pays : salaire indécent des élus de la révolution, accumulation du retard dans la rédaction de la Constitution, violences salafistes, etc.


 


MBJ persiste et signe


« L’animosité que vous voyez entre moi et l’opposition n’est qu’une impression : elle ne se manifeste que devant les caméras ». Une fois ainsi écartée d’un revers de main une question sur ses rapports tendus avec la « kotla » démocratique aux échanges houleux depuis des mois avec un chef d’Ettakatol qu’elles suspectent d’esprit partisan dans sa gestion de l’Assemblée, Ben Jaâfar entre dans le vif du sujet.


A propos de la controverse autour du train de vie des élus de la Constituante d’abord, il a pris fait et cause pour ses confrères, allant jusqu’à les qualifier de « moujahidin » (des militants aux tâches ingrates) : « Sans surenchère aucune, permettez-moi de vous dire que l’élu aujourd’hui est une sorte de moujahid. Tout ce qu’il fait, dans ses moindres faits et gestes, est soumis au regard des citoyens en direct. Les élus travaillent dans des conditions lamentables ! », a-t-il renchéri avec véhémence, déplorant le fait que les 217 élus ne disposent ni de bureaux individuels ni de collaborateurs.


« L’élu est aujourd’hui investi d’une triple mission : constituante, législative, et de supervision du gouvernement », a-t-il expliqué, en donnant l’impression de chercher à justifier une rémunération record d’une moyenne de 10 heures de travail par jour.


Or, comme le fait remarquer l’un des journalistes intervieweurs, la Tunisie ne peut être comparée à d’autres parlements dans le monde en raison de la situation exceptionnelle qu’elle traverse.


Consentir au sacrifice et au service du pays en cette phase de transition est un aspect que relègue Ben Jaâfar derrière le prestige et la reconnaissance dont sont redevables les élus et dont il a estimé en répondant à une question plus précise sur leurs indemnités qu’ils sont victimes d’une campagne de dénigrement « de mauvaise foi ».


« En réalité, on veut s’en prendre à l’ANC en tant qu’institution, alors que c’est nous qui jouissons du pouvoir suprême, le seul légitime », a-t-il martelé, donnant davantage l’impression d’un autocrate que d’un représentant d’une Assemblée souveraine.


Dialogue de sourds donc, s’agissant des conditions opaques dans lesquelles les élus se sont auto-augmentés en huis clos, et un président de l’Assemblée qui estime que le salaire des élus (plus de 4000dt net) est encore « en bas de l’échelle de ce qui se fait dans le monde »…


 


Peu convaincant


Si les questions relatives au statut des élus ont dominé l’essentiel de l’entretien, d’autres questions essentielles ont été évoquées comme celle des violences salafistes que « MBJ » a nommément citées. Pour le chef de l’ANC, il est hors de question que soit traitée cette question d’en manière essentialiste, en les stigmatisant en tant qu’islamistes, « à la manière de l’ex régime ». « La politique du bâton qui les poussait à l’exil est révolue », a-t-il rappelé, tout en insistant sur la nécessité de tirer la sonnette d’alarme lorsque la ligne rouge de la violence est franchie.


Moins convaincantes furent les réponses concernant les volets de la justice transitionnelle et du retard pris dans la rédaction de la Constitution. MBJ a globalement donné l’image d’un leader sans grand pouvoir sur la bureaucratie et les obstacles d’ordre technique entravant ces volets.


Sur l’ensemble de sa prestation depuis qu’il est aux commandes, et au terme d’une performance télévisuelle jugée « scandaleuse » sur les réseaux sociaux, Ben Jaâfar est en train d’essuyer des critiques fondées : un préambule à peine finalisé en 6 mois de travaux, un refus incompréhensible de publier son salaire, et une déconnexion des réalités s’agissant de l’augmentation partisane des salaires des élus, unanimement qualifiée de faute morale et politique… Tel est le bilan peu reluisant qu’il devra défendre l’an prochain en cas de nouvelle candidature pour un mandat législatif ou présidentiel.


Seif Soudani