Tunisie. Mohamed Bouazizi, personnalité 2011 du Times
« Le Times a désigné Mohamed Bouazizi, vendeur de rue qui a inspiré le Printemps arabe, comme personnalité de l’année 2011 », pouvait-on lire en première page du journal.
« Bouazizi n’était pas un révolutionnaire à proprement parler, mais son acte de protestation a servi de catalyseur à une vague de révolte qui a transformé tout le Proche-Orient », ajoute le quotidien.
Marchand ambulant de fruits et légumes dans la ville de Sidi Bouzid, Mohamed Bouazizi s’était suicidé après avoir été maltraité par une agent de la police municipale ; avant, les autorités lui avaient confisqué à plusieurs reprises sa marchandise.
Un acte de profond désespoir qui avait suscité un grand émoi dans le pays. Des émeutes avaient alors éclaté spontanément dans toute la Tunisie pour s’insurger contre le régime Ben Ali, initiant les premières velléités de ce qui allait se muer en révolution puis en phénomène régional.
On connait la suite. Des mouvements sociaux se sont étendus par ordre chronologique à l’Egypte, la Libye, le Yémen, au Bahreïn et aujourd’hui encore à la Syrie.
Dans un entretien accordé à Reuters, la mère de Bouazizi a déclaré : « Rien ne se serait passé si mon fils n’avait pas réagi contre le silence et l’humiliation. J’espère que ceux qui vont nous gouverner ne perdront pas de vue ce message et qu’ils prendront en compte tous les Tunisiens, y compris les plus pauvres d’entre nous ».
Un an après, une popularité en demi-teinte
Que reste-t-il aujourd’hui de l’héritage local, en termes d’image, qu’a laissé derrière elle la figure révolutionnaire Bouazizi ? Même si des timbres postaux à l’effigie de ce symbole de la dignité ont vu le jour, et que de grandes places de la capitale et d’ailleurs portent désormais son nom, le bilan auprès de l’opinion est en réalité mitigé.
Dans sa ville natale désertée par sa famille deux mois après sa mort, le désamour a été rapide. En cause, la mère et la sœur du martyr auraient touché un demi-million de dollars contre sa brouette achetée par un collectionneur occidental anonyme, et ont aussitôt préféré la banlieue huppée de Tunis, Gammarth, à leur quartier pauvre, pour y élire résidence.
Par conséquent, certains locaux se refusent à glorifier un nom associé à une famille qui ne les a pas aidés en choisissant l’exil, eux qui habitent une région encore économiquement sinistrée et d’autant plus délaissée par les médias.
Pour beaucoup enfin, rendre hommage à ce qui reste un acte de suicide peut promouvoir une certaine culture sacrificielle, voire kamikaze. Ainsi l’Assemblée constituante a longuement débattu récemment, à l’initiative d’Al Aridha Achaâbya, sur l’éventualité de consacrer le 17 décembre en jour férié à la place du 14 janvier, date de l’aboutissement de la révolution.
Pour le camp qui s’y refuse, le danger est de commettre un contre-sens en glorifiant le défaitisme et l’acte de l’immolation en lui-même, qui peut être promu à tort si sa commémoration est mal interprétée comme un encouragement, notamment par les plus jeunes et les générations à venir. C’est que de l’immolation à l’émulation, il n’y a qu’un pas qui a déjà été franchi plus d’une fois depuis un an.
Seif Soudani