Tunisie. Meeting populaire prometteur du «grand parti du centre»
Devant un parterre des grands jours, les chefs coalisés du nouveau centre ont fait salle comble hier samedi : un Palais des Congrès rempli comme jamais où rien ne fut laissé au hasard.
Un adage politique communément admis veut que « la Tunisie ne se gouverne qu’au centre ». C’est ce que semblent avoir compris les sociaux-démocrates et les libéraux tunisiens, même si la nouvelle entité issue de leur fusion n’a pas encore officiellement de nom arrêté, de l’aveu même d’Ahmed Néjib Chebbi, questionné par nos soins à ce sujet.
Ainsi les protagonistes ont-ils mis l’accent sur l’étiquetage « centre » pour leur premier grand meeting populaire au Palais des Congrès samedi 11 février. Une appellation qui, au-delà du marketing politique, correspond à une réalité : celle d’une alliance entre centre-gauche (PDP) et centre-droit (Afek).
Nous avions déjà commenté l’acte fondateur de cette union, fin décembre 2011. Une alliance née du constat amer d’une défaite électorale des partis modernistes, et de la nécessité du regroupement, nouveau mot d’ordre et rempart contre une division qui coûta cher lors du scrutin du 23 octobre.
Ce meeting était un premier test grandeur nature, et les militants ont répondu présents : ils ont bravé le froid pour remplir l’enceinte du Palais des Congrès par milliers. Signe que la démarche répondait à une réelle attente de la part des démocrates tunisiens. Il se murmurait pourtant que l’idée n’enthousiasmait pas Chebbi outre mesure au départ.
Concrètement, l’évènement d’hier samedi marquait le coup d’envoi des grandes manœuvres en vue de contrer Ennahdha aux prochaines échéances électorales.
Une com’ savamment orchestrée
Pas de doute, nous assistions hier après-midi à une opération politique très au point, bien plus aboutie que les balbutiements un peu brouillons de l’hôtel Golden Tulip en décembre.
Un slogan simple et fédérateur a été retenu : « Notre union fait notre force ». L’axe commun à toutes les interventions fut clairement celui de l’économie. Et à ce jeu-là, le nouveau parti en devenir savait qu’il pouvait compter sur ses brillants apparatchiks technocrates.
C’est en effet une véritable démonstration d’expertise économique à laquelle se sont livrés tour à tour des intervenants tous plus compétents les uns que les autres : Yassine Brahim, ex ministre des Transport et de l’Équipement du gouvernement M. Ghannouchi, ouvrit le bal avec des statistiques alarmantes sur le recul des investissements intérieurs et extérieurs.
Said El Aidi, ex ministre de la Formation professionnelle et de l’Emploi, enchaînait sur la spirale des statistiques catastrophiques du chômage (28% selon des sources gouvernementales), et sa vision pour en sortir.
Le clou du spectacle était confié à Néjib Chebbi, dans une intervention cette fois plus politique. L’attaque frontale du rendement du gouvernement était de mise.
Le ton était grave lorsqu’il livra un avertissement quant aux différents scénarios possibles en cas d’enlisement de la crise économique actuelle en crise politique. « C’est la tenue même des prochaines élections qui serait remise en question si ce gouvernement venait à chuter de lui-même », a-t-il prévenu dans une analogie faite avec la crise grecque.
Chebbi avait été mis en difficulté suite à une question portant sur le prix du kilo de tomates sur un plateau TV lors de la dernière campagne électorale. Détail insolite samedi : il n’aura pas échappé aux commentateurs politiques que depuis, l’homme ne rate plus une occasion pour glisser le prix de la tomate, entre autres légumes, dans la plupart de ses discours et interventions médiatiques. Les conseillers en communication sont manifestement passés par là…
Ouverture de la saison des transferts
Au jeu des ralliements et des désistements, notons le coup politique qui fait mal, celui porté par Chebbi à son rival de toujours, Mustapha Ben Jaâfar, en la personne du trublion Khémaies Ksila, transfuge d’Ettakatol.
Ce dernier a en effet fait une entrée surprise à la mi-meeting, très applaudi, comme pour mieux mettre en scène son ralliement au nouveau parti du centre, et son départ annoncé de longue date de son parti d’origine.
Abdelaziz Belkhodja et son Parti Républicain affaiblissent quant à eux un peu plus le PDM, en se ralliant à un centre qui parait plus en adéquation avec celui qui incarnait jadis l’aile droite du PDM.
Malgré une vitrine séduisante riche en talents, ce nouveau centre aura à n’en pas douter bien des défis à relever, notamment celui de l’éternel problème des égos. Confiant, Chebbi préconise le vote interne pour la désignation d’un chef.
Notons enfin le désistement de dernière minute du PDM dans son ensemble et de la liste Doustourna, qui préfèrent faire cavaliers seuls à gauche. C’est une demi-surprise pour des formations bien plus à gauche à tout point de vue.
Et bien que les dignitaires de cette nouvelle entité centriste surfent sur l’appel de Béji Caïd Essebsi, ce dernier a préféré agréger autour de lui des partis à droite de tout ce beau monde réuni, son camp naturel s’avérant être celui des nationalistes et des partis issus de l’ex RCD dissout.
A un an et demi des prochaines élections, le paysage politique tunisien se décante donc en trois regroupements idéologiquement cohérents, avec le mérite d’y voir plus clair, à défaut de mettre un terme aux divisions du camp progressiste.
Seif Soudani