Tunisie. Meeting « Appel de la Nation », grande messe politico-populaire de Béji Caïd Essebsi
Cette fois c’est fait, et avec la manière ! Béji Caïd Essebsi signe concrètement son grand retour dans la vie politique. Son rendez-vous avec les Tunisiens hier samedi était très attendu. Il fut un évènement à la hauteur des espérances de ses partisans : une mobilisation jamais vue dans la petite ville de Monastir, fief du bourguibisme, avec une dizaine de milliers de pro destouriens rassemblés sous le thème du patriotisme. (Photo LCDA)
Depuis une semaine et l’annonce faite par l’association hôte, l’Association nationale pour la pensée bourguibienne, il se murmurait partout dans les milieux politiques que « l’event » que préparait Essebsi allait être grandiose.
L’affiche était plutôt alléchante pour les nostalgiques de l’ex Premier ministre de transition et ex campagnon de route du « combattant suprême » : un titre solennel, presque guerrier, d’« appel de la Nation », pas moins de 51 partis présents, un choix du lieu hautement symbolique en terre bourguibiste, des invitations à distribution quasi confidentielle, laissant présager d’une marée humaine sur place.
A l’arrivée, ce sont au moins 10 000 personnes qui ont répondu à l’appel, la plupart de Tunis, créant des embouteillages monstres aux abords du Palais des sports de Monastir. Environ deux mille personnes ont dû être refoulées à l’entrée et sont restées à l’extérieur, tandis que 4 fois plus ont fait la fête à l’intérieur, survoltés par une ambiance de ferveur populaire et nationaliste.
D’emblée, les esprits s’échauffent dans l’allée centrale : un journaliste se fait « dégager » illico par la foule et doit être escorté vers la sortie par le service d’ordre, sous les huées.
C’est Lotfi Hajji, le correspondant tunisien d’Al Jazira. « Al Jazeera dégage ! », lance même le chauffeur de salle. Pas de doute, nous sommes en territoire nationaliste. Al Jazeera est doublement la bête noire ici : média symbole de l’ingérence du Qatar, considéré comme soutien d’Ennahdha et contributeur numéro 1 de la révolution.
Or, dans ce meeting de droite, la droite religieuse n’était pas la bienvenue et la révolution ne sera évoquée qu’à de rares occasions. Ce sont la souveraineté nationale et le particularisme tunisien qui sont clairement opposés en alternative à l’islamisme. Il s’agissait aussi de réhabiliter le drapeau, un thème incroyablement fédérateur en Tunisie depuis la profanation de la bannière nationale par des salafistes.
Un enjeu politique considérable
Depuis la cuisante défaite électorale de la Constituante, le camp moderniste est en pleine gestation. Des mutations complexes ont été entamées dans la foulée du 23 octobre 2011, à la recherche du moyen le plus efficace de constituer un front électoral qui soit le plus à même de concurrencer Ennahdha aux prochaines échéances.
Les ténors des courants modernistes sont désormais convaincus que l’une des conditions pour battre les islamistes consiste à réintégrer les destouriens dans le jeu politique. Ils sont 100 000 à 200 000 militants et cadres « propres », non impliqués dans la dictature benaliste, réellement motivés pour résister à Ennahdha, mus par un fort sens de la préservation de l’héritage moderniste bourguibien.
Cette large frange est au cœur d’une âpre lutte de récupération : dès l’été 2011, Rached Ghannouchi exprimait son souhait de la voir agrandir ses troupes, avec des appels répétés du pied en leur direction.
Absence d’annonces politiques
Signe fort que l’ambition affichée était de draguer un maximum d’ex RCDistes encore fréquentables, c’est Kamel Morjane qui prend la parole le premier.
L’ex représentant de la Tunisie à l’ONU a déjà quelque chose de très tangible à offrir : 5 sièges glanés à l’Assemblée constituante avec son parti « l’Initiative ». Soit autant que le PDM, qui n’a envoyé que le numéro 2 d’Ettajdid hier, et plus qu’Afek Tounes, grand absent.
C’est qu’en plus de se heurter aux limites des divergences idéologiques, les actes de bonne volonté se heurtent souvent à celles des conflits d’egos.
Le Parti National Tunisien, entité créée par Essebsi, avait déjà rassemblé une petite galaxie de micros partis issus de l’implosion du RCD, ainsi que quelques partis satellites à coloration nationaliste.
Restait l’annonce d’une fusion avec l’entité « grand parti du centre », comme pouvait le laisser présager la présence remarquée d’Ahmed Néjib Chebbi. Rien de tel ne fut annoncé hier, simplement la promesse d’Essebsi d’être là le 7 avril prochain au grand congrès fondateur du nouveau centre.
Nous avons appris sur place que Yassine Brahim, valeur montante d’Afek, était présent mais que la parole lui a été curieusement refusée. « C’est Chebbi qui se contentera de parler de la ‘‘Kotla’’ », lui a-t-on signifié, et Emna Mnif, une ex d’Afek, était aussi présente. Celle-ci refusera finalement de prendre la parole en signe de protestation.
L’union sacrée avant la bataille
Quand vient le tour du très applaudi Béji Caïd Essebsi, celui-ci ne déçoit pas les fans de son franc-parler. Sur le débat en cours autour de la charia il dira : « Ceux qui nous parlent de constitutionnaliser la charia tentent une distraction et nous font perdre du temps. Si cela continue, il faudra un référendum et qu’on en finisse ! ».
Parmi les autres faits marquants, l’omniprésence sur scène de Khaoula Rachidi, élevée au rang de Marianne tunisienne après son acte héroïque de résistance aux profanateurs du drapeau à la Manouba. Présence légitime ou récupération politique à outrance ? Le débat faisait rage même dans la salle.
Quoi qu’il en soit, le parterre impressionnant a rassuré sur la cohésion de la famille progressiste au-delà des clivages nationalistes / républicains. Des invités aussi prestigieux que Yadh Ben Achour et Mohammed Sayah avaient fait le déplacement, aux côtés de Lazhar Akremi et Omar Shabou.
Au moins 3 générations, et des figures connues pour leur opposition frontale aux nahdhaouis. Ce qui laisse augurer d’une volonté d’agréger toutes sortes de compétences en vue de législatives qui promettent d’être autrement plus disputées pour Ennahdha que la promenade de santé de la Constituante.
Seif Soudani