Tunisie- Les grandes lignes du programme d’Ennahdha il se veut volontariste et rassurant

Ennahdha a parlé. Son programme est enfin connu, il a été rendu public ce mercredi matin. C’est un programme qui répond à plusieurs questions que les électeurs se posaient, mais pas toutes. Il est probablement le résultat d’un compromis entre les différents courants qui composent cette formation et fourmille de généralités et de grands principes, comme chez tous les partis d’ailleurs.

Ennahdha est bien un parti islamique, islamiste ou à référentiel islamique (chacun choisira la formulation qui lui convient). Le parti n’en fait pas mystère, même si ses statuts, pour se conformer à la loi, sont vierges de toute mention à ce référentiel.

Toutefois, à  la lecture du programme, Ennahdha ne peut pas être accusé d’utiliser la religion à des fins politiques. La religion est citée comme une éthique et comme la composante essentielle de l’identité du pays. Et c’est en tant que telle qu’elle apparaît dans les programmes et qu’elle participe à certaines orientations.

Un Etat séculier. Dans les pays arabes, on utilise l’expression « dawla madania ». Littéralement, cela signifie « Etat civil », par opposition à Etat religieux ou théocratie, mais qu’on peut traduire plus précisément par Etat séculier ou Etat non-religieux. Ennahdha propose bien une dawla madania, un Etat moderne fondé sur la séparation des pouvoirs, ainsi qu’un régime parlementaire, où le président de la république est élu par les députés, pour cinq ans renouvelables une seule fois.

Le système politique. Dans cette partie, Ennahdha affirme les principes qu’elle défendra (ou imposera, selon son score) dans la future constitution. Donc, l’article 1 ne changerait pas : Etat souverain, indépendant et libre. Sa religion est l’Islam, sa langue l’arabe.  Bien entendu, on ne sait pas ce que signifie un Etat qui aurait une religion bien précise. Cette ambiguité voulue par Bourguiba serait donc reconduite aux yeux d’Ennahdha.

Le texte d’Ennahdha fait référence aux libertés individuelles, aux droits de l’homme, à la liberté de conscience et de religion, aux droits des minorités religieuses, à l’indépendance de la société civile, à la démocratie, à la séparation entre les pouvoirs, à l’indépendance de la justice, au pluralisme politique. Ce sont des principes modernes ; certains d’entre eux, comme la liberté de conscience, sont une vraie avancée dans le contexte régional.

Le régime est parlementaire. Le parlement élit un président de la république qui charge une personnalité issue du parti ayant obtenu le plus grand nombre de sièges, de constituer un gouvernement responsable devant le parlement. Les réformes de la constitution ne peuvent être réalisées que par le parlement sous réserve d’une majorité qualifiée à définir ou par voie de référendum.

Une justice indépendante. Dans le domaine, aucune référence n’est faite à la religion. Il s’agit surtout de rechercher l’équité, garantir les droits des justiciables, renforcer ou garantir l’indépendance de la justice. Le conseil supérieur de la magistrature serait élu. Une cour constitutionnelle créée. La Cour des comptes serait indépendante et son président élu par le parlement.

Organismes indépendants. Là aussi, propositions de bon sens. En plus de l’indépendance de la justice, de la Cour des comptes et de la Banque centrale, différentes instances indépendantes, de contrôle et de régulation, seront proposées, notamment pour les médias et pour les élections.

La transition. Comment Ennahdha voit la période de transition qui commencera après les élections du 23 octobre ? Le gouvernement d’union nationale et le consensus d’abord. Une justice de transition, une reddition des comptes pour la période passée avant toute réconciliation nationale.

Un gouvernement d’union nationale gèrerait les affaires courantes jusqu’aux élections législatives qui se tiendraient dans le cadre de la nouvelle constitution.

Le statut de la femme : respecter les acquis. Le programme n’évoque pas la polygamie en tant que telle mais au sujet de la femme, il insiste sur la sauvegarde des acquis et sur le rôle très important dévolu et reconnu à la femme.

Il ne reprend pas les idées développées par  Rached Ghannouchi il y a quelques mois au cours du débat avec Neila Sillini (les femmes qui accouchent auraient droit à un congé payé de quatre à cinq années), mais la porte reste ouverte pour les appliquer, en sa basant sur différents principes généraux contenus dans le programme tels que les droits de la femme, des enfants, de la famille…

Le programme est explicite sur un point : l’apparence vestimentaire. Il sera interdit, dit-il, d’imposer quoi que ce soit dans le domaine vestimentaire. Dans les deux sens, on comprend bien.

Programme économique : encouragement de l’investissement, politique libérale.  Le programme économique comporte évidemment énormément de principes généraux auxquels on ne peut que souscrire, tels que la réduction du chômage, des déséquilibres entre les régions, la promotion des exportations, ou encore le respect des équilibres macro économiques.

En l’absence de chiffres précis, on ne peut que penser que cela peut marcher comme cela peut ne pas marcher. Par exemple, dans les domaines sectoriels tels que les exportations, le tourisme ou l’agriculture, il faudrait élaborer des stratégies et ce sont ces stratégies qui nous diront quels résultats on peut obtenir. Et le rédacteur de la partie économique croyait bien faire en précisant que les stratégies sectorielles seront élaborées par les professionnels de chaque secteur, ce qui en fait est une aberration. On doit consulter et impliquer les professionnels bien sûr.  Mais ils ne pourront pas rédiger les stratégies sectorielles.

Finances publiques : la contradiction. Dans leur souci de bien faire, les rédacteurs ont assoupli et réduit les taux d’imposition, créé une caisse d’assurance chômage (financée en grande partie par l’Etat), augmenté les investissements, respecté les grands équilibres et réduit la dette publique.

On ne voit pas comment on peut réduire les recettes, augmenter les dépenses, tout en baissant l’endettement et en maintenant les grands équilibres.

En tous les cas, des chiffres généraux sont donnés sur l’évolution à venir de la dette et du recours aux emprunts extérieurs. Ils ne sont pas étayés et donc, nous ne pouvons nous prononcer.

Sur le plan économique, on retiendra en fait les points suivants :

-équilibres macro économiques

-politique économique libérale, encouragement de l’initiative privée

-encouragement de l’investissement, public et privé, y compris les grands travaux d’infrastructure

-lutte contre la pauvreté

-réduction des disparités sociales et régionales

-lutte contre le chômage avec création de 590.000 emplois en cinq ans (le taux de chômage serait alors de 8.5%).

Boujemâa Sebti

Le texte intégral, en arabe, est disponible ici : http://www.365p.info/livre/index.html.