Tunisie. Les enseignements de Jalloul Ayed
« La révolution tunisienne était spontanée, d’où les attentes des citoyens qui veulent tout et maintenant ». Jalloul Ayed, banquier et ancien ministre des Finances du gouvernement de transition en Tunisie, porte un regard mitigé sur son expérience au lendemain de la chute de Benali.
C’est à l’occasion de la 3ème édition du Forum de Paris – Casablanca Round, qui s’est tenu hier mercredi à Casablanca, que Jalloul Ayed a partagé son expérience devant un panel composé de ministres et d’économistes marocains et étrangers, parmi lesquels se trouvaient notamment Hubert Védrine et Dominique Strauss-Kahn.
« Dictature de l’instant »
« Face aux attentes, nous étions dans la dictature de l’instant. C’est pourquoi nous avons parfois été amenés à adopter des solutions palliatives, qui ne répondaient pas aux problèmes structurels de la Tunisie », rappelle Jalloul Ayed.
Parmi ces mesures, il cite notamment le recrutement direct de 30 000 jeunes dans la fonction publique, ou encore l’instauration du programme Amal pour les diplômés chômeurs, qui a permis à 140 000 d’entre eux de bénéficier d’une « allocation pour recherche d’emploi ».
Des mesures que M. Ayed assimile aujourd’hui à des piqures anesthésiantes, en raison de leur inefficacité à moyen terme, mais aussi pour leur coût prohibitif. « L’application de ces deux mesures a nécessité un budget de 250 millions de dinars, alors que le budget de l’Etat tourne aux alentours de 23 milliards, dont les deux tiers sont absorbés par le budget de fonctionnement ! » En clair, seul le tiers du budget de l’Etat tunisien était consacré à l’investissement, créateur d’emplois…
Si l’ancien ministre reconnait volontiers que la priorité du gouvernement de transition était d’acheter la paix sociale, il reste lucide quant à la portée réduite de ces mesures, tant sur le plan économique que social.
« La Tunisie souffre d’un développement régional non-uniforme. Le pays comptait 800 000 chômeurs, dont 230 000 diplômés. Savez-vous qu’il faut 50 000 dinars pour créer un emploi ? ». A l’échelle de la Tunisie, la résorption du chômage aurait nécessité à elle seule la bagatelle de 40 milliards de dinars !
« Permettre à la société de s’aider elle-même »
Une 3ème voie devait être trouvée, une voie « qui permettrait à la société de s’aider elle-même » précise Jalloul Ayed, faisant allusion à la genèse du « Plan Jasmin ». La priorité étant de mettre en place des mécanismes qui favorisent l’investissement.
A l’ordre du jour, instauration d’un cadre règlementaire incitatif, création d’un marché de capitaux permettant aux PME de se financer en fonds propres, réforme du capital-investissement et encouragement du micro-crédit, sans oublier la CDC ainsi que le Fonds Générationnel, qui regroupe les revenus des privatisations pour alimenter d’autres fonds d’investissement, et ce à l’image des « business angels » américains.
« Nous sommes une économie de transformation, la valeur ajoutée technologique de notre industrie tourne autour de 25%. Notre objectif est de la porter à 50% », souligne l’ancien ministre
S’il se garde bien de dresser le bilan de ces mesures, le cadre du Forum ne s’y prêtant sans doute pas, Jalloul Ayed n’en demeure pas moins confiant en l’avenir, à condition d’avoir « un Etat fort, une société civile forte, ainsi que des institutions fortes, notamment sur le plan économique ».
Des objectifs qui pourraient être atteints plus rapidement si l’union du Maghreb était une réalité concrète, pour le plus grand bien de l’ensemble des pays la composant. « J’aurai adoré être ministre de l’Economie et des Finances du Grand Maghreb », conclut notre ancien ministre…
Zakaria Boulahya