Tunisie. Les dérives politico-protocolaires de la visite d’Ismael Haniyeh

 Tunisie. Les dérives politico-protocolaires de la visite d’Ismael Haniyeh

Le chef du Hamas Ismael Haniyeh a été accueilli à son arrivée en Tunisie comme un chef d’état. DR.

Entamée jeudi dernier, la visite d’Ismael Haniyeh en Tunisie continue d’être l’occasion d’observer plusieurs irrégularités protocolaires dont certaines sont révélatrices de choix politiques délibérés du parti au pouvoir, Ennahdha.

La visite de 4 jours intervient dans le cadre d’une tournée régionale visant à réhabiliter l’ex gouvernement issu du Hamas, aujourd’hui isolé à Gaza après son limogeage en 2007 et sa mise au banc des relations internationales suite à ses velléités putschistes.

La Turquie d’Erdogan fut une première étape, comme l’indique l’avion Turkish Airlines dans lequel le chef du Hamas est arrivé. Si la prospère Turquie a aujourd’hui les moyens de sa politique étrangère, la Tunisie, petit pays en crise, n’a pas manqué d’attirer l’attention de la communauté internationale à travers une telle visite. Certains parlent déjà de soutien logistique et de refuge au Hamas.

Antisémitisme ordinaire

D’emblée, le comité d’accueil à l’arrivée d’Haniyeh, composé essentiellement de jeunes radicaux islamistes, a créé une première polémique. Dans une ambiance aussi festive que belliqueuse, ils étaient une centaine à scander à l’aéroport de Tunis-Carthage des chants ouvertement antisémites et des appels au meurtre : « Tuer les Juifs est un devoir ! Ecraser les Juifs est un devoir ! », entonnait leur meneur.

Indignation chez une partie de la classe politique tunisienne, à l’image d’Emna Mnif qui faisait ses excuses hier dimanche aux Juifs tunisiens, tout en regrettant le silence de la Ligue tunisienne des Droits de l’homme face à cette banalisation de la haine. Ennahdha, de son côté, a fini par publier un communiqué condamnant ces slogans antisémites.

Visite d’Etat ou visite informelle ?

Ensuite, la manière avec laquelle Ismael Haniyeh fut reçu pose problème. Car tout pouvait laisser penser qu’il était reçu en grande pompe en qualité de Premier ministre, voire de chef d’Etat : réception au pied de l’avion par le chef du gouvernement Hamadi Jebali en personne, honneurs militaires avec passage en revue d’une sélection des trois armées, et surtout, utilisation des ressources de l’Etat : voitures officielles, dîners et réceptions de gala, dispositif de sécurité, etc.

En quelle qualité Haniyeh était-il donc reçu ? Les honneurs de la République sont réservés aux chefs d’Etat et de gouvernements.

Or, il n’est plus en l’occurrence qu’un chef de parti. Soit il est reçu par l’homologue islamiste du Hamas, le parti Ennahdha, dans une visite de courtoisie, et dans ce cas, Jebali n’a pas à l’accueillir, et l’utilisation des fonds de l’Etat est scandaleuse. Soit il est reçu virtuellement en chef du gouvernement palestinien, et Ennahdha se rend coupable de provocation et d’ingérence dans les affaires de la Palestine.

Un tel parti pris affaiblit en effet un peu plus la position de Mahmoud Abbas qui avait congédié Haniyeh avec lequel il reste en conflit dans une lutte de pouvoir entre laïques et islamistes.

Voilà qui explique peut-être que le gouvernement tunisien a, tardivement, annoncé hier dimanche son intention de recevoir bientôt Mahmoud Abbas à son tour, histoire de rectifier le tir et de rééquilibrer le message politique.

Quel statut pour Rached Ghannouchi ?

Autre grosse irrégularité protocolaire notable, l’omniprésence de Rached Ghannouchi aux côtés du leader du Hamas.

Que fait un chef de parti à la descente d’avion des invités du pays, puis au salon d’honneur de l’aéroport, à l’exclusion d’autres chefs de partis ? La question est de plus en plus soulevée dans les médias locaux qui s’interrogent plus que jamais sur le statut de Ghannouchi.

L’homme apparaît aujourd’hui comme « un chef d’Etat bis », sorte de guide spirituel jouissant des prérogatives des chefs d’Etat, mais sans avoir de comptes à rendre. Détenir un pouvoir officieux, être l’homme fort du pays, sans avoir été élu, voilà qui n’est guère très démocratique.

En attendant, pour le clou du spectacle, le finish en apothéose d’une visite populaire qui est passée par Kairouan et Sidi Bouzid, le Palais des sports d’El Menzah à Tunis avait pris des airs de « mega church ». Haniyeh y bénissait la conversion d’une jeune Française à l’islam, brouillant un peu plus les statuts des chefs des partis islamistes aujourd’hui, à mi-chemin entre imams, muftis et politiciens.

Seif Soudani