Tunisie. Leaders de la nouvelle opposition : la jeune relève est là

 Tunisie. Leaders de la nouvelle opposition : la jeune relève est là

Ines Ennaji

Il fallait être sur le terrain, sur la grande place du Bardo faisant face à l’Assemblée constituante, pour rencontrer les nouveaux visages des symboles de l’opposition nouvelle en Tunisie. Car ils y étaient tous, dans ce qui devient depuis peu un haut lieu de la contestation à la fois populaire et d’avant-garde, foisonnant de débats de rue passionnés, signe d’une démocratie en marche. Voici un tour d’horizon de quelques figures marquantes à suivre de près en cette période post-révolutionnaire où les conservateurs ont gagné le premier round.

Ils ont tous en commun d’agréger autour d’eux une foule compacte qui les écoute religieusement. La plupart des nouveaux opposants n’ont en réalité jamais quitté la rue depuis l’ère Ben Ali.

La rue, ce terrain de prédilection pour faire pression hier contre un régime policier et autoritaire, aujourd’hui contre ce qu’ils perçoivent comme les prémices d’une dérive théocratique et contre-révolutionnaire.

S’étant jurés de ne plus jamais baisser leur garde après la révolution du 14 janvier, ils reprennent aujourd’hui le maquis, à la « première velléité autocratique » que seraient les larges pouvoirs octroyés par la majorité de la Constituante à Hamadi Jebali d’Ennahdha, futur chef du gouvernement, ainsi qu’une série d’autres propositions du parti islamiste, laissant augurer d’une mainmise sur la Tunisie nouvelle.

Jawhar Ben Mbarek, ou la force tranquille

Un slogan a marqué le durcissement de la contestation au Bardo, une semaine à peine après la séance inaugurale des travaux de l’Assemblée constituante : « Nous appartenons à la rue, et c’est à elle que nous reviendrons ». Menaçant, il irrite particulièrement les plus fondamentalistes des passants qui dénoncent le détournement d’un précepte religieux (« Nous appartenons à Dieu et c’est à Lui que nous reviendrons »).

Cet audacieux jeu de mots est l’œuvre du réseau Doustourna. Ce réseau qui fut l’un des principaux initiateurs de ce qu’il convient désormais d’appeler « Sit-in du Bardo 1 » (clin d’œil aux précédents sit-ins de la Kasbah 1 et 2), est aussi novateur dans sa forme : à mi-chemin entre un parti politique, une liste électorale indépendante et un réseau associatif, il a été pensé par son leader Jawhar Ben Mbarek comme une entité hybride de la militance de « l’ère post-politique ».

Ce visionnaire issu d’une famille de militants historiques, candidat indépendant à la Constituante, n’a pas obtenu de siège aux dernières élections, mais cela ne semble en rien avoir entamé sa détermination d’activiste, à l’image des Indignés en Occident pour qui les représentants politiques élus se sont depuis longtemps déconnectés des réalités sociales du peuple.

Jawhar Ben Mbarek, 42 ans, est professeur de droit à l’école de Commerce de Tunis. Spécialiste de droit constitutionnel, le charismatique juriste a attiré sur lui les feux des projecteurs en raison de ses aptitudes d’orateur sans pair.

Son réseau de militants tissé notamment grâce à internet, les réseaux sociaux, combinés à un travail acharné sur le terrain, est le seul à avoir présenté un projet de Constitution lors de la campagne électorale.

« Jamais je n’attraperai la grosse tête, mon père m’a vacciné contre cela ! », nous a-t-il lancé lors de la mobilisation générale du mercredi 30 novembre dernier. Son père c’est Ezzedine Hazgui, un des militants historiques de la gauche tunisienne, membre du parti Perspectives, ayant séjourné de longues années en prison dès les années 60.

« Ils sont faibles, s’ils ont cédé sur plusieurs points, c’est parce que nous sommes ici dans la rue », nous confie Jawhar Ben Mbarek, à propos de la nouvelle troïka de la majorité déjà mise en difficulté.

Le 11 décembre prochain, Doustourna tient un meeting déterminant pour son devenir à moyen terme. Il s’agira pour le réseau de faire un état des lieux de ses effectifs, lors d’une journée test où il compte rassembler des milliers de sympathisants mais aussi de nouveaux ralliements à sa cause, dans une sorte de second souffle post échec électoral.

Olfa Lajili, égérie du mouvement du 24 Octobre

Mère de deux enfants, la trentaine assumée et une énergie débordante, Olfa Lajili est partout ! Expatriée un temps en Suisse, de retour en Tunisie, elle a fondé le Mouvement du 24 octobre, avec un noyau de 6 autres jeunes dont Ines Ennaji (22 ans) et Ramy Shghayer (26 ans).

Vigilants, ils ont entamé la contestation au lendemain des résultats du scrutin du 23 octobre, un scrutin entaché selon eux de nombreuses irrégularités non sanctionnées. C’est devant le siège de l’ISIE qu’ils se réunissent une première fois pour réclamer des comptes à l’Instance indépendante des élections.

Parmi leurs revendications élargies plus tard au travail considéré opaque de la nouvelle Assemblée, la nécessité d’inscrire le code du Statut Personnel dans la Constitution, l’interdiction de cumuler les fonctions de membre de la Constituante et membre du Gouvernement et la diffusion en direct des séances plénières de l’Assemblée Constituante.

Reçue hier jeudi par Moncef Marzouki, futur président inquiet de la tournure que prend une contestation qui fédère des milliers de Tunisiens, prenant surtout la forme d’un sit-in à l’initiative de la jeune femme, elle reste déterminée à poursuivre le bras de fer avec un nouveau pouvoir soucieux de négocier une sortie de crise, histoire de prendre les rênes des postes clés dans un climat de stabilité.

Globalement, la jeune relève de l’opposition progressiste que nous avons rencontrée a fait preuve d’une grande maturité politique, avec un sens aigu du lobbying et du débat d’idées, et surtout une capacité à la conceptualisation de sa lutte par le biais d’idéaux d’une gauche moderne, universaliste, mais n’oubliant pas les demandes de dignité et d’équité sociale d’une révolution tunisienne dont elle est la digne héritière.

Seif Soudani