Tunisie- Le programme économique d’Ennahdha, entre utopisme et populisme
Avec 182 experts mandatés, plus de 6 mois de gestation, pour un programme en 365 points (contre une centaine pour ses concurrents directs), Ennahdha est la dernière grande formation politique du pays à présenter son programme, manifeste très attendu par les observateurs nationaux et internationaux.
Présenté le 14 septembre, l’ambitieux texte, plutôt généraliste dans l’ensemble, révèle un volet économique clairement ancré à droite et dénote, comme prévu diront les plus incrédules, une volonté de montrer patte blanche s’agissant du volet sociétal, en consacrant le virage réformiste du parti islamiste, désireux d’afficher une image plus moderne et une volonté de rupture avec le passé trouble de l’ex « Mouvement de la Tendance Islamique », du moins en théorie et dans les intentions.
Libéralisme économique, finance islamique et « AKPisation »
En introduction du chapitre économique, le programme plaide pour « l’instauration d’un modèle de développement conciliant nécessités économiques, justice sociale et valeurs islamiques ». Les références à la révolution sont omniprésentes, avec un accent mis sur la lutte contre la corruption par laquelle passerait l’assainissement de l’économie nationale. Une révolution sur laquelle on aime à surfer mais à laquelle aucun parti politique n’a contribué du reste.
Outre cet axe de la réforme « par la vertu », un certain nombre de mesures de relance par la demande vaut au parti d’être critiqué pour une démarche à caractère populiste. En effet, dans le contexte actuel d’une Tunisie en crise et à la croissance négative (-3% pour les prévisions les plus optimistes), ce type de politique économique expose généralement à un important risque inflationniste, surtout avec un dinar tunisien très dévalué (un dinar vaut aujourd’hui 0,5 euro), pénalisant le volume des importations, le service de la dette et réduisant les exportations à peu de choses en valeur.
Mais la mesure phare du volet économique est l’allègement de la pression fiscale sur les personnes physiques pour les petits et moyens revenus. Elle élargirait la tranche de revenus exonérés de 1500dt à 2500dt tout en augmentant les déductions communes au titre de chef de famille de 150dt à 300dt pour tout enfant à charge. Or, cette suppression de taxes sur le mode ouvertement libéral, misant sur la consommation des ménages, ne trouve pas, ailleurs dans le programme, d’alternative au manque à gagner considérable qui s’en suivrait pour les recettes de l’Etat.
Autre pari critiquable, celui de la finance islamique comme choix davantage idéologique que pragmatique. Alors que des institutions bancaires de ce type existent déjà dans le pays depuis quelques années, le parti veut les généraliser avec une « législation appropriée permettant la création de banques islamiques ». L’argument marketing d’une finance conforme à la loi islamique est déjà perçu comme déloyal par les établissements bancaires « réguliers » craignant de se retrouver progressivement marginalisées pour « immoralité », surtout dans le secteur banques d’investissements.
Plus généralement, le programme économique a déçu pour son manque d’originalité et son conformisme par rapport à la politique actuelle du gouvernement qu’il est suspecté d’avoir calquée : le gouvernement provisoire a sollicité la mobilisation de 125 milliards de dollars de financement de ses programmes, Ennahdha réclame une somme équivalente : 163 milliards de dinars pour la période 2012-2016, venant à hauteur de 67% de l’épargne nationale, et 6 % en financement extérieur générateur d’intérêt de la dette, pourcentage identique aux prévisions, là aussi, du gouvernement actuel.
Deux mesures enfin font déjà couler beaucoup d’encre : La création d’environ 590.000 emplois durant le prochain quinquennat (ramenant théoriquement le taux de chômage de 14.4% en 2011 à 8.5% à l’horizon 2016), et la proposition d’une séance unique de travail durant toute l’année. La première laisse perplexe ceux qui taxaient déjà l’ex président Ben Ali de fuite en avant démagogique lorsqu’il promit la moitié, 300.000 emplois, à l’horizon 2014. Promesse irréaliste d’un dictateur en sursis pour l’ensemble des économistes. La deuxième fait davantage penser aux pays du Golfe dont le climat rend nécessaire ce type d’horaires dont il est l’apanage.
Au final, l’ambitieux chantier économique promis par le programme nahdhaoui laisse un arrière-goût d’inachevé, avec notamment un flou artistique concernant les moyens de le financer, d’autant que le parti y fait preuve d’une bonne dose de souverainisme par rapport à l’Occident vis-à-vis duquel il ne cache pas sa volonté de s’affranchir (« Point 157 : Accroissement des réserves nationales de ressources naturelles pour limiter la dépendance aux puissances étrangères », « Point 167 :exemptions de visas de tourisme pour les ressortissants de pays arabo-musulmans », etc.). Un nationalisme dans la droite ligne de la droite populaire dont on peut s’interroger s’il a les moyens de sa politique.
Seif Soudani