Tunisie. Le problème Sadok Chourou, trublion de l’ANC
C’est l’enfant terrible d’Ennahdha. Si ce fondamentaliste n’incarnait que l’aile droite de son parti, cela resterait anecdotique. Or, l’homme siège à l’Assemblée nationale constituante, représentant la circonscription la plus peuplée du pays, Ben Arous. Il y multiplie les coups d’éclat. A chaque intervention tapageuse, le cas Chourou montre, si besoin était, qu’il est symptomatique d’un profond malaise : celui d’un islam politique qui n’a pas encore fait sa réforme.
Le passé de Sadok Chourou est relativement méconnu. Né en 1952, il est diplômé en chimie de la Faculté des sciences de Tunis. Il a enseigné cette discipline à la faculté de médecine de Tunis jusqu’en 1991. Il est membre de la commission de la recherche scientifique au Centre de la recherche scientifique de Borj Cédria.
Il préside Ennahdha de 1988 à 1991, bien avant Rached Ghannouchi avec lequel il a toujours eu des rapports que l’on dit tendus. Il est arrêté le 17 février 1991, jugé sous le régime Ben Ali avec d’autres dignitaires du mouvement islamiste, et emprisonné pendant près de deux décennies.
Gracié une première fois par Ben Ali, il passe moins d’un an en liberté avant d’être arrêté et jugé à nouveau en 2008 pour maintien d’une association illégale.
Dans une vidéo de Moncef Marzouki qui y loue « un héros et un homme de science », lui qui a été un temps son compagnon de cellule, on apprend que Chourou a passé 14 ans à l’isolement, dans une cellule individuelle.
Alors que depuis la révolution, Ennahdha tente de montrer patte blanche quant à sa nature réformée de parti civil et démocrate, l’homme multiplie les dérapages et est connu pour avoir maintenu des liens étroits avec la mouvance salafiste.
Dernière gaffe en date, lors d’une intervention où il commente les derniers mouvements sociaux qui secouent le pays, il invoque un verset du Coran pour justifier que sit-inneurs et manifestants entravant le travail du gouvernement sont « les ennemis du peuple » et, par extension, « les ennemis de Dieu et de son prophète ». Ils mériteraient par conséquent « qu’on les crucifie, qu’on les tue, ou qu’on leur coupe un bras, une jambe ou qu’on les bannisse »…
Un intégriste en charge d’écrire une Constitution
Quelques semaines auparavant, le même Chourou apparaissant tel un prédicateur devant ses partisans, déclarait à propos du procès Nessma TV qu’il fallait impérativement inclure dans la nouvelle Constitution « un article criminalisant les atteintes à l’islam et au sacré ».
Quant à la crise économique, pour toute solution, l’élu préconise de s’inspirer de la « zakat » et de la charia islamique qui, appliquées à l’économie d’aujourd’hui, permettraient à la Tunisie de prospérer.
Plus généralement, dès l’inauguration des travaux de la Constituante, l’homme disait souhaiter que la future Constitution « s’inspire largement des lois coraniques ».
D’apparence caricaturale, ces déclarations ont malgré tout le mérite de crever un abcès et d’ouvrir un débat : celui de la sécularisation de l’Etat et de la vie politique. Elles posent essentiellement 3 problèmes :
-Celui d’abord de l’évocation du divin, en ce qu’elle tue toute velléité de débat. Le recours systématique à Dieu et au Coran a pour visée plus ou moins consciente de neutraliser toute objection, d’endosser une autorité de la parole pour le moins incongrue dans le débat politique.
Surtout lorsque cette parole se fait sur le mode fondamentaliste d’une lecture littérale des textes sacrés (si bien que mis à part une timide intervention le lendemain de la part d’un élu PDP, personne n’a osé objecter la moindre réserve le jour du fameux dérapage de Chourou).
– Le second problème est celui de la primauté de l’universalisme sur le religieux. Dans toutes les démocraties modernes et réelles, les droits de l’homme sont placés au-dessus des considérations d’ordre religieux, ils sont l’essence des lois. Hamadi Jebali (numéro 2 d’Ennahdha) l’a lui-même concédé à plusieurs reprises.
– Enfin, dans tout Etat de droit, la loi est la source du droit. C’est la loi d’ici-bas qui préside aux décisions de justice et lie les mains des juges. Les lois sont rédigées par des législateurs représentants du peuple, à lui seul souverain pour les édicter.
Sadok Chourou est un homme respecté par une large frange de son parti. Il use de cette notoriété de militant et de chef historique pour enfoncer le clou et œuvrer en électron libre. Mais si Ennahdha veut se montrer enfin cohérent avec son statut de parti réellement civil, il serait temps que soient rappelés à l’ordre tous ses dignitaires sans exception.
En attendant, Chourou pourra parader en assurant qu’Ennahdha « soutient la prédication salafiste » (interview accordée cette semaine au journal algérien Al khabar), ou encore que « si le gouvernement choisit l’apaisement avec ses opposants pour le moment, c’est en vertu de la paix de Houdaibia* ».
Seif Soudani
*La conquête de Houdaibia prit fin sans effusion de sang alors que la guerre était imminente et que les compagnons du prophète promirent de mourir en martyrs. La sourate Al-Fath salue cet armistice historique.