Tunisie – Le miroir déformant de la nouvelle Assemblée
40 femmes voilées pour 9 non voilées. C’est la configuration des membres féminins de la nouvelle Assemblée constituante qu’ont découverte les Tunisiens hier mardi, résultat de la combinaison entre parité imposée aux listes électorales et victoire du parti Ennahdha à 89 sièges. Pour les laïques du pays et d’ailleurs, c’est un signal fort, lourd de conséquences, envoyé aux autres révolutions arabes ainsi qu’au reste du monde. Résignés, certains d’entre eux pensent que c’est pourtant là le prix à payer pour une transition démocratique pacifiée.
Pour qui connait un tant soit peu la Tunisie moderne, la photographie de la fraîchement élue Assemblée nationale constituante (ANC) ne correspond pas à la réalité de la société tunisienne, s’agissant du taux des femmes voilées encore minoritaires, du moins en zone urbaine.
Dans une assemblée théoriquement censée refléter une cartographie sociale miniaturisée, il était difficile hier mardi, lors de la séance inaugurale, de distinguer les quelques rares non voilées.
Même si cela était prévisible connaissant les forces en présence issues d’un scrutin ayant consacré les conservateurs islamistes, l’image concrète n’en était pas moins marquante. Elle interpelle en tous les cas les femmes des nombreuses associations féministes du pays.
L’une d’entre elles nous confiait hier en commentant les premières images issues de l’ANC : « Ce que je vois ne ressemble pas aux images de la révolution du 14 janvier, faites de gens plus jeunes, de femmes libérées, en majorité non voilées ».
« Respecter le verdict des urnes »
D’autres commentateurs rétorquent, pragmatiques, qu’il faut « respecter le verdict des urnes ». Une façon de mettre fin au débat. Or, pouvoir critiquer un projet de société conservateur et religieux est précisément censé être l’un des acquis de la révolution. Une critique qui n’est pas en l’occurrence synonyme d’exclusion, mais de liberté d’expression.
Ce décalage entre la représentation parlementaire et la réalité sociale n’est pas en vérité le seul aspect quelque peu brouillon observé hier, propre à un véritable laboratoire démocratique balbutiant opérant en temps réel, avec ses cafouillages et ses premiers pas hésitants.
A l’intérieur de l’assemblée, nous avons vu des membres de l’ANC perdus dans des couloirs qu’ils ne connaissaient pas, d’autres encore ne savaient pas utiliser leur micro. Une partie importante a même demandé à suspendre les débats pour faire la prière, contre l’avis d’une autre partie…
Vers un modèle démocratique tunisien
Mais la dimension expérimentale est contrebalancée par un certain nombre de fondamentaux rassurants, comme en témoigne par exemple le consensus trouvé en fin de journée pour élire, logiquement, une femme comme vice-présidente de l’Assemblée, Mehrezia Laâbidi.
Des images dramatiques en provenance d’Egypte ont aussi ponctué la journée d’hier dans les médias. Souvent disposées en « split screen », mises côte à côte avec les images de la transition démocratique tunisienne, elles donnaient à voir un contraste saisissant entre une révolution trouvant un aboutissement la consacrant en modèle pacifique, et une autre encore en gestation douloureuse, sombrant dans la violence.
De quoi faire admettre aux plus sceptiques que la révolution des consciences passe peut-être dans le monde arabe par l’intégration de toutes les forces politiques au jeu démocratique, au risque d’une intervention de l’armée que personne ne souhaite.
Reste que pour devenir un conservatisme comme un autre, l’islam politique devra sans doute se débarrasser de la tentation missionnaire, tout projet d’uniformisation des sociétés sur le mode totalitaire n’ayant pas sa place en démocratie.
Seif Soudani