Tunisie. Le gouvernement Jebali face à l’évidence de l’échec
La Tunisie est-elle au bord du gouffre ? A en croire Standard & Poors, la rue, mais aussi l’ensemble des secteurs vitaux dont la défiance à l’égard du pouvoir confine désormais à la désobéissance, l’échec du deuxième gouvernement de transition ne fait plus de doute, au terme de 5 mois d’exercice. Pour l’opposition, une sortie de crise est impossible sans changement radical de l’équipe gouvernementale.
Dans sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée, Hamadi Jebali avait eu cette formule restée depuis plutôt abstraite : « Nous avons trois priorités : l’emploi, l’emploi et encore l’emploi ».
Dans les faits, le chômage est passé de 14% en Tunisie à plus de 18% selon les derniers chiffres officiels. Il affecte à présent quelque 800 000 personnes, dont environ 200 000 diplômés du supérieur. Les inégalités sociales explosent à vue d’œil.
Une situation économique et sécuritaire désastreuse
Les prix flambent toujours, malgré les promesses et les assurances de Timoumi, chargé de la direction générale de la concurrence, volontariste lors d’une conférence de presse ce mardi matin au Palais du gouvernement à la Kasbah.
La gestion du gouvernement actuel n’est naturellement pas l’unique responsable. Le triptyque « retombées de la révolution, crise en Europe et mouvements sociaux » est invariablement évoqué comme ligne de défense par les ministres convoqués dans les médias.
Un argumentaire qui ne résiste pas à l’impitoyable épreuve de la loi des marchés qui n’attendent pas : S&P vient de dégrader de deux crans la note de la dette à long terme de la Tunisie à BB, reléguant ainsi le pays dans la catégorie des emprunteurs spéculatifs.
Mais surtout l’agence de notation a assorti ce revers d’une évaluation cinglante et sans détours du bilan du gouvernement Jebali : elle estime que « le gouvernement de transition, en place depuis décembre 2011, n’est pas en mesure de redresser suffisamment l’économie. »
Selon les experts, l’agence Moody’s devrait, sauf surprise, s’aligner sur cette perspective dans la semaine.
Les détracteurs du gouvernement Jebali soulignent que malgré la phase de transition, par nature instable, que traverse la Tunisie depuis 2011, le pays a pu emprunter des dizaines de milliards de dollars à des taux exceptionnellement bas, au lendemain de la révolution, sous Béji Caïd Essebsi. Une façon de sous-entendre que ce sont les compétences et les relations internationales qui font défaut aujourd’hui au sommet de l’Etat.
Les notations très sévères des agences américaines prennent sans doute en compte la situation sécuritaire très préoccupante du pays, le chaos voulu par les salafistes ne rencontrant pour l’instant aucune volonté politique de répression.
Sahbi Jouini, membre du syndicat des forces de l’ordre, est même intervenu lundi sur les ondes de Shems FM pour affirmer l’existence de groupes s’entraînant dans les montagnes tunisiennes pour des opérations terroristes, dans l’indifférence générale.
Même l’autorité de l’ANC est défiée désormais par d’autres syndicats de police menaçant de « court-circuiter le législateur si nécessaire pour protéger les citoyens ».
Reprise de la contestation
Même si la Place du Gouvernement était plutôt calme aujourd’hui, l’Union des Diplômés Chômeurs y avait initié il y a quelques jours ce qu’elle entendait être un « Kasbah 4ème édition », signe que la contestation sociale spontanée reprend de plus belle. La mobilisation sur cette place a déjà sonné le glas de 3 gouvernements successifs.
En deux jours, plusieurs préavis de grèves générales ont été déposés : les 30 et 31 mai courant par le corps des médecins et pharmaciens, et en ce moment même pour les instances régionales de l’UGTT à Jendouba et à Gafsa.
Face aux critiques d’incompétence, le gouvernement Jebali répond par toujours plus de conseillers. 3 nouveaux conseillers ont ainsi été recrutés pour épauler le Premier ministre, avec rang et avantages de secrétaires d’Etat, dont Nabil Ajroud, chargé de la fonction publique à la présidence du gouvernement.
Le gouvernement politiquement affaibli, l’opposition s’engouffre dans la brèche. Face au « fiasco retentissant » de la deuxième phase de transition démocratique, le parti Al Joumhouri tenait hier lundi une conférence de presse pour non plus proposer mais appeler d’urgence à la formation d’un « nouveau gouvernement de salut national, non soumis aux quotas des partis, composé essentiellement de compétences indépendantes et de technocrates ».
Mais déjà la troïka, comme l’a annoncé le jour même Tarek Kahlaoui (un proche de la présidence), a opposé une fin de non-recevoir à l’initiative de Maya Jribi, et a balayé du même revers de main les propositions d’augmentation de l’UGTT.
De plus en plus isolée, acculée par les chancelleries occidentales, l’équipe autour de Jebali semble convaincue d’être sur la bonne voie. Elle reste dans un autisme tel qu’il pousse les observateurs à s’interroger si elle tiendra jusqu’à son congrès d’Ennahdha, prévu pour juillet.
Seif Soudani