Tunisie – Le débat fait rage autour de l’organisation d’un référendum sur la Constituante
La tension sera montée crescendo depuis les premières évocations dès mars dernier de l’idée d’un référendum déterminant prérogatives et durée du mandat de la prochaine Assemblée Constituante.
Nous avions déjà relayé les premières voix qui, dès le mois de mai 2011, à l’image du juriste Sadek Belaid, expert en droit constitutionnel, s’étaient élevées pour vivement s’inquiéter des germes d’une dérive contenus dans le projet-même d’une entité disposant de pouvoirs absolus. L’assemblée constituante, c’est d’elle qu’il s’agit, serait la seule entité élue, pour non seulement gouverner le pays, faire et défaire les gouvernements, légiférer er exécuter, entériner les lois qu’elle aura elle-même proposées, à commencer par les lois régissant son propre fonctionnement.
L’opinion découvrait ensuite lors du dernier discours du premier ministre provisoire à quel point les négociations avaient avancé discrètement et en interne au sein de la classe politique sur la possibilité d’un référendum de dernière minute liant les mains du futur Conseil : une délégation de pas moins de 47 partis avait formulé en urgence la demande insistante d’un tel référendum, voyant probablement se profiler l’inéluctable, surtout à l’aune de sondages d’opinion laissant envisager le scénario de l’hégémonie d’un seul parti sur cette assemblée, malgré le mode de scrutin à la proportionnelle.
Tollé chez une autre partie de la classe politique : alors même qu’un référendum consiste précisément en une consultation démocratique du peuple, la proposition est perçue comme une tentative anti démocratique dont l’organisation va à l’encontre de la volonté d’un peuple « qui n’a rien demandé ».
Enfin, le plus récent sondage Sigma est venu montrer samedi dernier que 57% des sondés sont pour l’organisation du référendum.
Aujourd’hui, l’état des lieux est celui d’une population, d’une classe politique et d’une société civile profondément divisées, polarisées entre partisans les plus médiatisés du référendum tels que Mohsen Marzouk, secrétaire général de l’Institut arabe pour la démocratie, et Maya Jribi, numéro 2 du PDP, principale force politique après Ennahdha d’un côté, et pourfendeurs de toute idée de référendum de l’autre, comme Gilbert Naccache, ex militant communiste toujours actif sur la scène politique et Tarek Kahlaoui, un proche du CPR de Moncef Marzouki pour lequel il a fondé un think tank.
Les deux parties s’entredéchirent littéralement, comme hier lors d’une réunion qui a mal tourné des pro référendum perturbée par des antis venus les chahuter et les accuser de trahison et d’être les restes de l’ex régime. Des affrontements physiques ont ainsi eu lieu à l’intérieur de la salle de conférences d’El Menzah transformée en véritable ring politique arbitré par un important dispositif de sécurité.
Les arguments des « pour » :
– Il faut limiter les fonctions de l’Assemblée constituante dans le temps et la mission, ce qui se traduit par l’élaboration d’une nouvelle Constitution en 6 mois. Selon Maya Jribi, dans toute démocratie « le peuple fait confiance à ses élus selon un mandat et des pouvoirs bien délimités, fixés préalablement par le peuple lui-même ». Fini l’esprit du « chèque en blanc » donné aux politiques, un esprit de concentration des pouvoirs qui devait avoir été enterré par la révolution.
– La nécessité de fixer dans un second semestre les modalités pour l’élection d’un nouveau président de la République et l’organisation des élections législatives afin de passer du statut du temporaire à celui du durable, et assurer ainsi au pays un retour rapide à la stabilité et à la visibilité du pouvoir, grâce à des représentants légitimes, ce qui œuvrerait en faveur d’une relance de l’économie au plus vite.
– N’accorder à la Constituante élue le 23 octobre qu’un rôle de surveillances et de contrôle des prestations du gouvernement intérimaire, le temps d’organiser les législatives et la présidentielle. Autrement la voie serait ouverte selon Mohsen Marzouk à une véritable « libanisation de la Tunisie », avec des nominations de ministres au cœur de luttes d’influence dans la nouvelle assemblée, entre plusieurs lobbies et autant de partis politiques.
Les arguments des contre :
Ils sont essentiellement d’ordre technique :
– La crainte que le gouvernement de transition actuel ne soit encore maintenu pour une durée indéterminée.
– Le président provisoire actuel n’a pas les prérogatives nécessaires à la convocation d’un tel référendum.
– Le manque de temps avant le 23 octobre pour informer des enjeux, mener une campagne supplémentaire et mettre en place la logistique nécessaire.
– Un référendum ne doit poser qu’une question précise à laquelle on doit répondre par oui ou par non.
En examinant de plus près ces derniers arguments, force est de constater que la plupart résistent peu à l’épreuve des faits et cachent souvent mal des raisons bien plus politiques, voire politiciennes, à l’opposition frontale au référendum. En effet, beaucoup suggèrent qu’un référendum peut très bien être organisé simultanément le jour même du vote du 23 octobre, parallèlement aux élections : dans le même isoloir, on voterait pour son candidat et l’étendue de ses pouvoirs. Par ailleurs il n’est pas rare que de par le monde et dans les démocraties modernes des référendums complexes soient organisés, proposant une série de questions au lieu d’une, ainsi que des choix de réponses multiples.
Dans ces conditions, il apparaît que la motivation réelle des anti référendum réside plutôt dans une volonté de rupture totale avec l’ancien régime, qui passerait par un pouvoir absolu arraché à un ex pouvoir totalitaire.
Prétendant incarner la revanche du peuple, ils désirent se poser en gardiens de la révolution et sont réticents à tout garde-fou institutionnel dont ils sentent qu’il peut limiter leurs futurs pouvoirs. Des pouvoirs qu’ils n’ont visiblement aucune raison de vouloir limiter.
C’est bien connu, le pouvoir corrompt, et même en l’absence initialement d’ambitions personnelles et de dérives d’égos, l’Histoire montre qu’une fois en situation d’accaparer tous les pouvoirs, les détenteurs du pouvoir sont immanquablement tentés par une fuite en avant autoritaire difficilement évitable.
C’est pourquoi l’idée d’un référendum est aujourd’hui quoi qu’il en soit, souvent un excellent révélateur de la nature profonde des uns et des autres, entre démocrates soucieux de l’intérêt supérieur d’une démocratie en devenir, et ce qui ne peut qu’avoir l’apparence d’anti démocrates parlant au nom d’un peuple dont ils prétendent qu’il est prêt à leur donner un mandat illimité afin de présider à sa destinée pour des décennies à venir.
Seif Soudani