Tunisie. Le CPR est-il objectivement un parti d’extrême droite ?

 Tunisie. Le CPR est-il objectivement un parti d’extrême droite ?

Le secrétaire général du CPR

A entendre les récentes sorties médiatiques des dignitaires du Congrès Pour la République, on pourrait se dire « tel parti, tel fondateur », tant cette entité est devenue un fatras idéologique sans nom.

 

C’est que le parti apparait de plus en plus comme une sorte d’OVNI se dérobant aux grilles de lecture traditionnelles d’appartenances politiques, à l’image de son fondateur Moncef Marzouki, ex militant des droits de l’homme durant les années d’exil, reconverti à la « gauche nationaliste », plus nationaliste que de gauche, depuis son retour au pays.

Pourtant, depuis que Marzouki a laissé cet espèce de réseau qu’est le CPR livré à lui-même pour s’installer au Palais de Carthage, un homme, et pas des moindres, incarne depuis peu à lui seul une ligne idéologique de plus en plus claire et cohérente : c’est le secrétaire général du parti, Abderraouf Ayadi. Hier mardi, il faisait son coming out de quasi militant d’extrême droite, du moins d’ami ultra nationaliste de l’extrême droite religieuse.

 

« Le CPR est un front »

Fait insolite, il y a quelques semaines avait lieu l’auto-proclamation, dans des conditions houleuses, de l’intéressé à ce poste de secrétaire général. Beaucoup ont alors pensé que si  l’homme incarnait la dissidence au sein du parti, c’est qu’il était anti alliance avec Ennahdha et donc hostile à l’islam politique.

Que nenni ! Interrogé à ce sujet au micro de Shams FM hier, l’homme a d’abord minimisé les divergences au sein du parti, en déclarant : « Le CPR est immunisé contre les conflits idéologiques, ce n’est pas un parti idéologique, il est traversé par plusieurs courants de pensée. En réalité le CPR est un front dont les composantes ne sont liées que par des affinités politiques et non un crédo », entendez des affinités de circonstance.

On ne saura pas contre quoi au juste ce front lutte-t-il, surtout dans l’ère post révolution, mais on retiendra un certain lexique belliqueux propre aux extrêmes droites.

 

« L’ennemi de mon ennemi est mon ami »

Ce précepte trouve en l’occurrence une application paroxystique délirante. En début de semaine, une étonnante vidéo refait surface et fait le buzz, montrant la présence en VIP d’Abderraouf Ayadi à une réunion salafiste.

Il s’agit d’un hommage que voulait rendre le groupe salafiste d’Abou Iyadh à Ayadi pour avoir été un grand défenseur de ce groupe durant l’ère Ben Ali. Les images datent de mai 2011. Des militants du CPR crient d’abord à une manipulation.

Il n’en est rien. Interrogé à ce sujet également, non seulement l’intéressé reconnaissait hier les faits, mais il s’est même dit honoré de cet hommage de la part de ce qu’il considère comme « ses enfants » : « Les adeptes de ce que j’appelle le courant bourguibiste de modernisme occidentalisé, qui fut une catastrophe pour le pays, pensent ainsi de me salir moi et tous ceux qui appellent à un modernisme dans le cadre de l’identité nationale », a-t-il tranché, avant d’ajouter :

« J’ai défendu ces braves jeunes qui ont souffert sous Ben Ali alors qu’ils brandissaient le drapeau du jihad contre l’invasion américaine en Irak. Ils ont tenu à honorer ceux qui les ont soutenus. Parmi leurs autres avocats bénévoles, Radhia Nasraoui qui n’a pas répondu à l’invitation, contrairement à moi qui n’ai aucun problème avec eux. Ce sont des Tunisiens comme d’autres. D’ailleurs, si ce n’était leur rôle (les jihadistes) dans la défaite américaine en Irak et en Afghanistan, les Etats-Unis n’auraient pas fait ce choix d’adhérer à l’islam modéré dans la région ».

Il conclut : « Je les salue et les remercie. Ils ont tenu bon contre la persécution des Etats-Unis exercée contre eux par procuration jadis à travers la torture de Ben Ali ».

Abou Iyadh avec lequel s’affiche Ayadi est l’un des principaux émirs du salafisme jihadiste en Tunisie. Il fut le compagnon de route du palestinien Abou Qatada, célèbre ancien jihadiste en Afghanistan, arrêté en Turquie en 2003 et extradé vers la Tunisie où il avait été condamné à 43 ans de réclusion. Il fut libéré en mars dernier grâce à la révolution.

 

Négationnisme et énième charge contre les modernistes

Relancé par la présentatrice à propos de sa position vis-à-vis de ce qu’il a appelé en d’autres lieux l’exagération de la menace salafiste par les modernistes, Ayadi acquiesce avant de procéder à une énième attaque en règle des modernistes tunisiens :

« Je veux parler de tous ces gens qui se reconnaitront, ceux qui cherchent une confrontation idéologique à longueur de journée, ne se sentent pas tunisiens et sont en rupture avec leur société. Ils sont ceux qui fournissaient une caution intellectuelle et idéologique à la répression de Bourguiba et de Ben Ali durant 50 ans, sous prétexte de combattre l’extrémisme et le terrorisme. » Avant d’ajouter sur un ton menaçant : « Nous les connaissons, et ils nous connaissent ».

Surprise par un tel discours réactionnaire, la journaliste essaye d’obtenir au moins une condamnation de principe de la violence, celle perpétrée contre ses confrères devant le tribunal où se tenait le procès Nessma TV. Elle ne l’obtiendra pas.

Le numéro 1 du CPR répondra en effet dans une rhétorique typique de l’apologie indirecte de la violence :

« Nous sommes contre la violence mais aussi contre les raisons de la violence. Certains dénoncent la violence mais sans jamais en invoquer les sources ». Il cite ensuite dans une surprenante fuite en avant le livre de l’un des intellectuels victimes d’agressions physiques en question, Hamadi Redissi, « L’Exception islamique », une provocation selon lui car « incitant à l’exclusion de l’islam comme préalable à la démocratie » (le livre appelle en réalité à la sécularisation comme préalable à la démocratie).

Répondant à une dernière question à propos de la marche pour les libertés organisée samedi 28 janvier, Ayadi a déclaré sur le ton du dénigrement et pour finir sur une note conspirationniste :

« Les libertés sont là et n’ont pas besoin d’une marche en Tunisie. Ce sont ceux qui ont manifesté qui veulent exclure l’autre. Ils ne cherchent qu’à vendre de la peur pour ensuite promouvoir un agenda. Ce sont les mêmes partisans de l’ex régime qui essayent de surfer sur la révolution ».

Dernière pique adressée à la journaliste, l’homme lui reproche son usage d’un mot en français : « Pourquoi parlez-vous ainsi ? », lui lance-t-il, «ce n’est pas notre langue, c’est un choix culturel qui nous a été imposé pour passer la pilule de la normalisation avec Israël».

Il rejoint ainsi un autre cadre du parti, Taher Hmila, qui avait récemment qualifié les francophiles de « déchets de la francophonie ».

Souverainisme, culte de l’identité, nationalisme exacerbé, panarabisme, conservatisme anti moderniste, et à présent carrément des affinités avérées avec le courant salafiste jihadiste, le parti de l’actuel président Marzouki tombe les masques aujourd’hui. Il opère ouvertement son virage à droite toute, à la faveur d’un choix populiste décomplexé des plus assumés.

Une disgrâce pour un parti contenant le mot « République » dans son nom.

Seif Soudani