Tunisie – « La rentrée scolaire n’a pas eu lieu… »


Des élèves trainant dehors, des lycéens sillonnant les rues de bon matin, et la « fac buissonnière » qui commence cette année très tôt… c’est là le paysage inhabituel qui caractérise la première rentrée post révolution en Tunisie. Alerté par ce spectacle urbain qui a cours depuis le 15 septembre dans les artères de la capitale, date officielle de la rentrée scolaire, Le Courrier de l’Atlas a mené une enquête qui révèle de graves dysfonctionnements touchant en réalité tout le territoire, ayant donné lieu à une rentrée sans cesse reportée et plus que perturbée.

Emplois du temps : l’arlésienne !

« On nous a demandé de revenir le 19 septembre », c’est ce qu’avaient d’abord unanimement répondu la plupart des élèves et lycéens faisant le mur de leur établissement respectifs, interrogés sur les raisons de leur présence anormalement massive sur les trottoirs. Depuis, on parle désormais du lundi 26… Et pour cause : l’ensemble du personnel enseignant s’accorde à se plaindre du fait que les emplois du temps ne sont toujours pas prêts dans la plupart des établissements du pays à l’heure où nous écrivons ces lignes. Tous les niveaux sont touchés : primaire, collèges, lycées et plus rarement les universités.

Motif : afin d’anticiper la fronde et les « dégage » déjà observés courant 2010 des directeurs et proviseurs des établissements scolaires jugés proches du RCD, ex parti au pouvoir dissout, le ministère de l’Education les a systématiquement écartés à la fin de l’année scolaire précédente, soit en les mutant, soit en leur accordant des retraites anticipées, voire des départs volontaires (beaucoup ont préféré retourner à l’enseignement).

Mais les mutations tardives ont notamment entraîné à leur tour un retard dans les sessions de formation annuelles des nouveaux directeurs. Du coup, il n’est pas rare cette année qu’écoles et lycées se retrouvent avec des directeurs dans l’incapacité de préparer des emplois, surtout en l’absence de censeurs (de l’aveu même du ministère, la plupart des institutions sont encore sans censeurs). La nomination de ces derniers fait aussi l’objet d’une polémique à propos de la priorité non respectée dont jouissent ceux d’entre eux ayant un conjoint pour rester géographiquement proches de leur famille.

Autant de chantiers qui s’éternisent et de cafouillages qui ont contraint Taïeb Baccouche, ministre provisoire de l’Education, à faire une apparition télévisée hier soir pour rassurer et donner des gages de dernière minute.

Une défiance généralisée de l’autorité

Mais ce n’est pas tout : ce qui ajoute à la confusion générale, c’est que pour la minorité d’établissements ayant effectué leur rentrée dans les délais, c’est souvent une rentrée sous haute tension que nous rapportent divers témoignages : certains professeurs refusent leurs emplois du temps, des élèves et des étudiants toujours plus nombreux à se rebeller contre tel ou tel professeur en refusant qu’ils leurs soient affectés. Des erreurs inédites dans les orientations scolaires : en passant du primaire au secondaire, beaucoup d’élèves ont été envoyés à des collèges trop éloignés de leurs lieux de résidence (les médias ont diffusé des cas d’élèves devant parcourir jusqu’à 35 km sans raison apparente).

Par ailleurs des élèves surdoués, d’ordinaire candidats de par leurs moyennes élevées aux lycées pilotes, ont été à tort orientés vers des établissements réguliers.

Et pour compliquer un tableau déjà bien sombre, le tribalisme vient encore corser la donne, avec des parents refusant dans les régions reculées du sud du pays en proie à des conflits tribaux d’envoyer leurs enfants dans les « lycées de leurs rivaux » de Gafsa, Douz, etc.

Une situation préoccupante qui si elle n’est pas résolue avant les élections du 23 octobre peut dégénérer en perturbation du processus électoral, menacent parents et observateurs politiques, les élèves et le corps enseignant ne pouvant s’offrir le luxe d’une deuxième année de troubles, après une année scolaire et universitaire 2010 – 2011 déjà sauvée in extremis grâce au concours de l’armée ayant sécurisé épreuves et examens de fin d’année.

Seif Soudani