Tunisie. La nomination de Rafik Ben Abdessalem ne passe pas auprès de l’opinion

 Tunisie. La nomination de Rafik Ben Abdessalem ne passe pas auprès de l’opinion

Beaucoup de Tunisiens ont du mal à avaler la pilule de la désignation du gendre de Rached Ghannouchi comme chef de la diplomatie. Photo Le Courrier de l’Atlas.

Alors que la passation des pouvoirs entre les gouvernements provisoire et élu se déroulait à la mi-journée en ce lundi pluvieux à Tunis, à quelques kilomètres de la Kasbah, des manifestants ont bravé la météo pour exprimer leur hostilité à la nomination du gendre de Rached Ghannouchi à la tête du ministère des Affaires étrangères.

Rafik Ben Abdessalem n’était pas encore arrivé à son ministère qu’un comité d’accueil déterminé l’y attendait de pied ferme; composé de quelques dizaines de manifestants comme nous l’avons nous mêmes constaté sur place vers quinze heures. La tension perceptible aux abords du QG de la diplomatie tunisienne est symptomatique d’un malaise plus large au sein de l’opinion.

Moins d’un an après une révolution motivée en partie par le clientélisme de l’ex régime, beaucoup de Tunisiens ont décidément du mal à avaler la pilule de la désignation du gendre du nouvel homme fort du pays comme chef de la diplomatie, comme on peut le constater à la lecture des journaux, en suivant les débats télévisés ou encore en surfant sur les réseaux sociaux.

Ainsi pouvait-on lire parmi les slogans brandis par les trouble-fêtes manifestants « anti Bouchléka » (allusion systématique ce matin à l’ex nom de famille du ministre, procédé vil qui consiste en réalité à railler le patronyme du ministre) « Non au scénario des nouveaux Trabelsi », référence à l’ancienne belle-famille de Ben Ali et ses privilèges.

L’influence du Qatar en toile de fond

En marge d’une nomination déjà controversée, une polémique agite le web tunisien depuis ce week-end où est apparu un document attestant de la présence de Rafik Ben Abdessalem à une conférence de l’OTAN en 2010 à Istanbul. C’est la mention « représentant du Qatar » associée à son nom qui attise toutes sortes de polémiques.

En réalité, l’homme y assistait en sa qualité de chef du bureau d’études géostratégiques d’Al Jazeera. « Ce qui n’est pas beaucoup mieux », selon plusieurs manifestants pour qui Al Jazeera est un organe de propagande de la politique étrangère qatari.

Résident pendant 2 ans au Qatar après s’être exilé à Londres, l’homme en porterait aussi la nationalité selon une rumeur qui reste invérifiable, non confirmée à ce jour, mais qui attise toutes sortes de spéculations.

Face à ce qu’elle considère comme de la calomnie, l’épouse de Ben Abdessalem, Soumaya Ghannouchi, a publié une tribune au ton ferme menaçant de traîner en justice à l’avenir tout auteur de diffamation à l’encontre de son mari.

Reste que le CV du ministre demeure problématique à l’heure où tous les analystes s’accordent à constater l’influence grandissante à l’échelle de la région d’un Qatar à l’agenda pro islam politique et wahabisme, à coup de pétrodollars dans la révolution armée de la Libye voisine, ou encore en sous-main pour financer des campagnes électorales des partis islamistes au lendemain du Printemps arabe.

Dans une région où les luttes de décolonisation sont encore vivaces, instrumentaliser les sentiments nationalistes reste fédérateur. Aussi l’hymne national a-t-il été entonné à plusieurs reprises devant les portes du ministère des Affaires étrangères ce matin, moment fort où l’on a pu comprendre que l’idée d’une ingérence étrangère associée au nom de Rafik Ben Abdessalem risque de lui être fatale.

Non seulement les manifestants ont annoncé leur intention de revenir bloquer l’entrée de l’institution aux employés jusqu’à la démission de leur nouveau chef jugé incompétent et arriviste, mais nombre d’observateurs nationaux reconnus estiment que le nouveau gouvernement a commis une grosse erreur stratégique en procédant à une telle nomination népotique. Une erreur qui risque d’empoisonner durablement son mandat.

Seif Soudani