Tunisie – La blogueuse Leena Ben Mhenni en lice pour le prix Nobel de la paix 2011
Leena Ben Mhenni, 28 ans, cyber militante tunisienne, figurerait parmi les favoris pour l’attribution du Prix Nobel de la paix 2011. C’est l’Institut National de Recherche sur la Paix qui fut le premier à ébruiter l’info hier, mercredi 28 septembre. Cet organisme basé, tout comme le comité du Prix Nobel, en Norvège, spécule chaque année sur les nominations à la prestigieuse distinction.
Au regard de l’actualité de cette année dominée par les révolutions et les soulèvements populaires dans le monde arabe, le comité tournerait donc naturellement les yeux vers cette vague révolutionnaire partie de Tunisie puis d’Egypte. « J’ai le fort sentiment que le comité Nobel et son président veulent consacrer les plus grandes questions internationales répondant à une large définition de la paix », a déclaré Jan Egeland, ancien vice-ministre norvégien des Affaires étrangères.
L’activiste égyptienne Esraa Abdel Fattah (30 ans), instigatrice du Mouvement du 6 avril 2008 (un appel à la grève générale très suivi ayant joué un rôle central dans la révolution égyptienne), serait aussi en lice.
Autre cyberactiviste bien placé en tête des pronostics, pour beaucoup favori des favoris en raison de son très étoffé CV, l’égyptien Wael Ghonim, 31 ans, ancien employé de Google avait grandement contribué au déclenchement des soulèvements anti-Moubarak qui avaient éclaté en janvier. Détenu pendant 12 jours, il avait été accueilli en héros sur la Place Tahrir à sa sortie de prison.
Le comité n’a pas encore rendu sa décision finale, une dernière réunion est prévue pour demain 30 septembre, l’annonce des résultats étant attendue pour le 7octobre. « Nous avons un peu de candidats sur la table », a déclaré Geir Lundestad à Reuters.
241 candidats dont 53 organisations ont été nominés pour le prix de cette année d’une valeur de 1.5 millions de dollars. Le scénario d’une récompense à départager entre les 3 aspirants n’est pas exclu et est même très envisageable d’après certains analystes.
Une nomination qui divise la blogosphère tunisienne
Bonne nouvelle pour la majorité des Tunisiens, la nomination de Leena divise cependant la blogosphère où le débat fait rage depuis hier entre ses soutiens et ses détracteurs.
Ces derniers dénoncent un certain arrivisme et le manque de contenu caractérisant selon eux son blog. Ses supporters qui se réunissent ce soir pour la soutenir publiquement s’indignent de ce qui est à leurs yeux un manque de patriotisme « typiquement tunisien », rappellent le rôle joué par la jeune blogueuse sur le terrain durant la répression de la révolte dont elle fit une couverture en sillonnant le pays, ainsi que sa lutte incessante contre la censure bien avant l’éclatement de la contestation généralisée fin 2010.
L’intéressée elle-même a déclaré hier à nos confrères de Kapitalis : « Il s’agit après tout d’un honneur pour la Tunisie. Si c’est moi, je vais dédier ce prix aux martyrs et autres victimes de mon pays», Agacée par le comportement de certains de ses compatriotes, elle ajoute : «Lorsque je vois les Egyptiens qui ont plus de chance que moi (car ils sont déjà deux) magnifiant leurs candidats et faisant circuler des vidéos montrant au monde que l’Egypte est la première à faire la révolution pacifique, ça m’irrite. »
Une violente campagne de diffamation et d’insultes est en effet menée depuis l’annonce de sa nomination sur les réseaux sociaux, notamment par des éléments de sensibilité islamiste.
Suffit-il d’être « un anti » ?
En juin dernier, nous avions consacré un article à une affaire qui avait déjà opposé Leena Ben Mhenni aux mêmes détracteurs qui n’avaient pas à l’époque apprécié qu’elle tire (timidement) la sonnette d’alarme contre la montée de l’islamisme dans le pays depuis la révolution.
Mais depuis, l’action de la blogueuse montre des signes d’essoufflement : la recherche de nouveaux boucs émissaires pour démontrer le maintien en place du système Ben Ali ne convainc pas toujours. De la recherche quelque peu inquisitoire de « nouveaux Trabelsi », à la priorité toujours affichée d’un combat contre le ministère de l’Intérieur, tout évoque une logique de réaction permanente, pas toujours pertinente en l’absence désormais de l’ennemi de la dictature.
Décerné en 2010 au dissident chinois Liu Xiaobo, un choix qui exaspère Pékin à ce jour, le Nobel a eu un grand impact politique en attirant l’attention sur la situation préoccupante des prisonniers politiques en Chine. Décerné en 2009 à Obama alors que celui-ci n’en était qu’au début de son mandat, le prix était alors censé donner un message fort de confiance et d’encouragement pour ce qui s’annonçait être une présidence de l’apaisement réconciliant les Etats-Unis avec le monde arabe et le reste du monde.
En l’occurrence, si le prix est décerné à l’un des trois jeunes blogueurs précités, le lauréat devra certainement faire montre d’une aptitude à la conceptualisation qui va au-delà de l’indignation, avec une vision et des idéaux pour l’après révolutions, au risque d’être condamné à l’oubli telles les coqueluches d’un jour des médias et du buzz web.
Le prix n’en resterait pas moins une source de motivation à caractère universaliste dont ont besoin les militants des révolutions encore en devenir, notamment pour les jeunes militants syriens.
Seif Soudani