Tunisie – L’impossible procès Ben Ali

Il y a deux semaines, nous attirions déjà l’attention de nos lecteurs sur ce qui nous semblait être un véritable imbroglio judiciaire, s’agissant du procès par contumace de l’ex président Ben Ali. Au vu du triste spectacle donné à voir par la justice tunisienne lundi 5 juillet à l’occasion de son second procès, nos craintes s’avèrent largement fondées.

Car il n’y a pas que le nombre de chefs d’inculpation qui est en hausse depuis, en passant de 93 à 113, nouveau record en la matière. Chahut, cafouillages et plus généralement l’ambiance chaotique lors des audiences vont aussi de mal en pis. Dès la présentation des pièces à conviction (drogues, armes, mallettes pleines de billets, etc.), la salle s’indignait déjà bruyamment du fait que l’on veuille faire de Ben Ali un simple trafiquant.

Point d’orgue de la confusion d’un procès houleux : les avocats de la défense décidèrent de quitter tout bonnement l’audience à la mi-journée. Motif invoqué : en refusant de leur accorder le délai demandé (report de quelques jours) pour examiner le dossier de l’accusation et tenter de contacter leur client à Jeddah, « les juges n’ont pas respecté l’un des droits fondamentaux de tout justiciable » a déclaré Hosni Beji, l’un des avocats commis d’office. Un concert d’insultes aux cris de « traîtres à la révolution ! » et « vous devriez plutôt défendre les familles des victimes assassinées ! » accompagna leur sortie.

Si ces avocats affirment qu’œuvrer ainsi à un procès irréprochable est dans l’intérêt du peuple tunisien, certains observateurs de l’actualité politico-judiciaire du pays n’ont pas manqué de pointer du doigt d’autres explications à ce comportement plutôt inattendu. Le bras de fer observé aujourd’hui résulterait en effet également d’un récent épisode ayant envenimé les relations entre le corps des avocats et celui des magistrats. Ces derniers avaient causé le report du procès qui devait initialement se tenir le 1er juillet. Leur principal syndicat avait appelé à une grève en signe de protestation contre l’approbation du décret-loi régissant la profession d’avocat par le gouvernement de transition, « sans en avoir préalablement discuté avec les différentes parties concernées » dont les juges. Mme Samira Laabidi, présidente du syndicat, avait dénoncé les pratiques du ministère de la Justice et s’était plainte de « menaces graves qui ont été adressées au corps des magistrats », s’ils n’acceptaient pas les nouveaux privilèges accordés aux avocats. Un fond de grogne sociale qui vient donc compliquer encore plus la donne.

Par ailleurs, l’une des icônes de la révolution (portée entre autre par un corps des avocats tunisiens historiquement connu pour sa tradition contestataire), l’avocat Abdennaceur Laouini, présent au Palais de Justice de Tunis, a quant à lui alerté les médias nationaux au soir du procès sur un aspect primordial et par trop souvent négligé à tort selon lui : le fait de savoir si Ben Ali jouissait d’une immunité judiciaire au moment des faits qui lui sont reprochés. Auquel cas, le recours devient nécessaire à un tribunal d’exception, équivalent en France de la Cour de justice de la République, seul type de juridiction à avoir la légitimité et les prérogatives pour juger ministres et chefs d’Etats, le Tribunal militaire permanent de Tunis ayant renvoyé l’affaire au civil.

Le monde entier regarde la Tunisie post révolutionnaire gérer sa sortie de crise. La façon dont elle juge les dignitaires de l’ex régime, son président déchu en tête, sera capitale : un procès non équitable serait une victoire pour Ben Ali et sa défense qui ne manqueraient pas de s’engouffrer dans les moindres failles de la procédure. Star du barreau libanais, Akram Azouri s’est fait une spécialité de prendre en attendant à témoin la communauté internationale sur le caractère politique de la procédure dont fait objet son client. Faire barrage à toute velléité d’extradition, telle est clairement sa stratégie, seule carte à jouer du reste. Et force est de constater que plus la cacophonie s’installe à Tunis, plus le piège se referme sur une justice décidément bien en difficulté.

Seif Soudani