Tunisie. L’étonnant virage populiste de Moncef Marzouki
A peine entamé, le mandat par intérim de Marzouki à la présidence de la République semble prendre une tournure populiste des plus décomplexées. Depuis son arrivée au Palais de Carthage, celui-ci multiplie les gestes et les stratégies en communication surprenants pour les uns, ouvertement démagogues pour les autres. A tel point que de nombreux analystes politiques estiment qu’il est déjà en campagne électorale.
Symbole de l’opposition tunisienne laïque hier, en terre d’exil, Moncef Marzouki multiplie aujourd’hui des messages à teneur identitaire dès son investiture en tant que président intérimaire.
Ainsi lors sa première visite d’Etat officielle hier lundi pour laquelle il a choisi la Libye voisine, le burnous couleur traditionnelle a laissé la place à un immaculé burnous blanc, tout aussi inhabituel et peu orthodoxe dans le contexte diplomatique de la Tunisie moderne.
Une excentricité qui lui vaut quelques railleries dans les réseaux sociaux où certains Tunisiens estiment qu’ils sont désormais représentés par « un nouveau Kadhafi », référence aux looks tribaux atypiques de l’ex leader libyen.
Placée sous le signe de l’union panarabe, la visite a été l’occasion pour le chef de l’Etat tunisien d’insister sur la convergence des destins des deux pays. Marzouki a dit considérer que le temps de la simple coopération est révolu, et qu’il fallait dorénavant s’atteler à une intégration plus avancée dans l’économie de la très pieuse nouvelle Libye de Mustapha Abdeljelil.
Des vœux 2012 perçus comme démagogues
Deux autres sorties médiatiques n’ont pas manqué d’attirer l’attention de la presse locale et internationale. Les traditionnels vœux du nouvel an adressés aux Tunisiens d’abord, et qui, pour le nouveau président, n’auraient rien de si traditionnel.
Marzouki y a en effet assez curieusement éprouvé le besoin de préciser que « fêter le nouvel an n’est pas de nos traditions arabo-musulmanes ». Une précision manifestement censée expliquer son manque d’enthousiasme, lors d’un exercice expédié sans grande conviction.
Il y a eu ensuite ses vœux adressés aux Français, sur un ton plus informel. Une initiative de nos confrères de Médiapart, Edwy Plenel ayant été un proche de l’ex opposant lors des années d’exil français.
Cette fois, Marzouki a dit souhaiter, sans plus de précisions, que « certains politiciens français utilisent moins la carte de l’islamophobie ». Un procès d’intention selon Bernard Débré, député UMP de Paris, qui a adressé une cinglante lettre indignée au nouveau président.
Inquiétudes à l’étranger
Cette accumulation de signaux identitaires aux accents populistes a de quoi inquiéter hors des frontières tunisiennes.
Après l’affaire des « séfirat », où l’on a pu comprendre que les non-voilées étaient stigmatisées lors du premier discours de Marzouki président, l’effet d’annonce plutôt sensationnaliste qu’a été la déclaration d’intention de vendre tous les palais de la présidence n’a rien arrangé.
Les prémices d’une inquiétude occidentale trouvent déjà un écho dans les médias français notamment, où on comprend mal la rupture en termes d’image entre un Marzouki se présentant comme universaliste jadis et le personnage qui leur est donné à voir, affublé de son nouvel accoutrement vestimentaire et idéologique.
Conjugués à la prolongation jusqu’à fin mars de l’état d’urgence dans le pays sur décret présidentiel, ces épisodes ne sont pas pour booster à la hausse en 2012 un tourisme déjà en berne, dans une Tunisie post-révolutionnaire qui, auprès de l’opinion, semble se refermer chaque jour un peu plus sur elle-même.