Tunisie. « L’Avenue lit » : quand les jeunes Tunisiens se réapproprient leur Avenue
Lors d’une manifestation d’un genre nouveau, à mi-chemin entre le flashmob et le sit-in, la jeunesse tunisienne a une fois de plus fait preuve d’une impressionnante aptitude à l’innovation. En répondant à la répression policière et aux provocations répétées des salafistes par le symbole, la culture et l’esprit, elle a démontré une conscience politique et une maturité unanimement saluées. (Photo LCDA)
Le concept est parti d’une idée simple selon ses trois jeunes organisateurs, telle une intuition : célébrer la lecture Avenue Bourguiba, deux heures durant, en saturant de livres l’espace public. Mais dans un contexte politique au bord de la rupture, cette audace de la force tranquille pour désamorcer la crise a tout d’une idée de génie !
Pacifier ainsi le lieu qui déchaîne toutes les passions ces derniers temps, en tendant l’autre joue, celle du savoir plutôt que de la haine qui découle presque toujours de l’ignorance, voilà en somme ce que fut l’opération « l’Avenue ta9ra » (l’Avenue lit). Une opération éclair qui n’a pas attendu la journée mondiale du livre dans 3 jours.
Un succès logistique
Malgré l’apparente spontanéité de la chose, l’un des principaux enseignements à tirer de l’ « event » d’hier mercredi, c’est le degré de coordination et de discipline des participants qui n’ont pourtant disposé que d’une petite semaine d’avance pour s’organiser. Ils ont d’autant plus de mérite qu’à la même heure, « Monastir lisait » à son tour, dans une parfaite synchronisation.
Vers 17h00 heure locale, des centaines de lecteurs surgissent de nulle part, répondant à l’appel. Tous prennent place dans un silence religieux, répartis entre le théâtre municipal, l’un des haut lieux de la révolution, et la Librairie Al Kitab qui a soutenu la collecte de livres et participé à la distribution d’ouvrages divers à tous ceux qui étaient là désireux de lire.
La plupart des passants hésitaient entre l’étonnement et le respect face à tant de civisme et de sens de la citoyenneté. Car les derniers heurts étaient encore dans tous les esprits : ceux entre artistes et les militants salafistes à l’origine du blocus à peine levé sur les manifestations, ainsi que ceux avec les policiers le 9 avril dernier.
Nul n’a pour autant souhaité parler politique. Pendant ces quelques heures comme hors du temps, tout juste avons-nous eu droit à quelques clins d’œil en forme de pied-de-nez à la politique du gouvernement actuel, comme ce jeune qui s’exclame en tenant son livre : « C’est tout de même mieux que le gaz lacrymogène, non ?! »
L’initiative rend déjà admiratifs, presque jaloux, des Egyptiens qui en ont partagé les images sur les réseaux sociaux en commentant : « Qui d’autre que les Tunisiens pour être les pionniers d’une opération inédite dans le monde arabe ? ».
En Tunisie, c’est même un mouvement qui est en train de naître. Le soir-même, l’Avenue Bourguiba fait déjà des émules à Sousse qui annonce sa fête de la lecture en plein air, Plage Boujaâfar, le 22 avril prochain, mais aussi Sfax, Bizerte et Tunis à nouveau qui connaîtront des évènements similaires.
Voilées, non voilées, jeunes et moins jeunes, tous ont communié mercredi lors d’une fin de journée colorée qui s’est terminée par le chant en chœur de l’hymne national. Quelques fauteurs de troubles ont tenté des provocations isolées, mais sans conviction tant l’atmosphère festive et désintéressée remportait l’adhésion d’un public acquis. Imparable !
Seif Soudani