Tunisie – Iqbal Gharbi dégagée de la radio coranique Zitouna
Le Courrier de l’Atlas avait couvert en septembre dernier dès ses débuts ce qui allait devenir l’affaire Iqbal Gharbi. Un véritable feuilleton à rebondissements qui vient de connaître un dénouement tristement prévisible, en l’absence de réelle volonté politique pour faire valoir le droit et confirmer la nouvelle gérante de la radio Zitouna à son poste.
L’affaire en trois actes qui a vu d’abord la nomination de cette première femme à enseigner la psychologie à l’Université de la Zitouna à la tête cette fois de la radio coranique Zitouna.
C’eût été une première aussi sans la fronde des employés de la radio, mécontents de voir une exégète moderniste du coran, non voilée, prendre la tête du média ultra conservateur dirigé depuis le départ de Sakhr El Materi, son fondateur, par le cheikh Mohamed Machfer (un proche du gendre de Ben Ali en fuite).
Nommée à son poste de directrice générale par un ministère de tutelle lui-même sans grande légitimité, dans le contexte d’un gouvernement de transition, Iqbal Gharbi n’avait pas rejoint jusqu’ici son poste, préférant laisser passer la période sensible des élections.
La fièvre électorale passée, elle a finalement pris possession de ses bureaux dans le siège carthaginois de la radio en début de semaine.
Comme prévu, une grève partielle est entamée dès lors par les employés les plus proches du très orthodoxe cheick Machfer. Et, scénario prévisible, point d’orgue de la rébellion de ces employés que certains disent manipulés, nous avons appris hier en exclusivité, par des sources internes à la radio, que la matinée du mercredi 16 novembre a vu l’expulsion pure et simple de la directrice fraîchement nommée. Elle fut dégagée aux cris d’un « dégage ! » récupéré, cette fois davantage théocratique que démocratique.
Le prétexte de l’autorité religieuse suprême
Le plus inquiétant, outre la mainmise de forces théocrates sur ce média, c’est la méthode employée au cours de ce mini putsch, ainsi que les conditions d’une expulsion faisant appel à des éléments étrangers à la radio.
En effet, depuis le début de l’affaire il y a deux mois, le principal prétexte employé dans l’opposition à cette nomination, c’est que selon une frange certes majoritaire de la radio, Gharbi n’est pas une islamologue digne de ce nom.
C’est l’argument de l’incompétence qui est donc mis en avant. C’est cette même carte qu’ont joué les putschistes hier : celle qui entend « moderniser et rationaliser l’enseignement religieux » n’aurait rien à faire à la Zitouna qu’elle ne saurait gérer.
Pour le prouver, selon une opération désormais bien rodée, un groupe de techniciens de la radio fait appel aux dignitaires religieux d’une association coranique à proximité, sorte d’autorité souveraine pour trancher dans les cas polémiques. Des problématiques qu’ils ont tout intérêt à ramener sur le terrain des fatwas faisant autorité.
Armés de leur bras théologien soufi, l’excommunication « tous contre un » de la vulnérable femme est donc rendue « légale », au nez et à la barbe des militaires qui gardent toujours le bâtiment.
Un mode de pensée faisant l’unanimité dans cette institution fondée au temps de la dictature Benaliste, qui correspond en apparence à un souhait démocratique voire anarchiste, mais qui en réalité est une dérive autoritaire invoquant la religion dans son acception la plus fondamentaliste.
L’intéressée n’a pas encore réagi, mais il y a fort à parier que cette militante réformiste au tempérament bien trempé continuera à se battre, elle qui a fait preuve de détermination et de courage dans sa promotion d’une nouvelle lecture des textes, résolument progressiste et anti patriarcale.
Seif Soudani