Tunisie. Interview exclusive. Yassine Brahim répond au «Mouvement Réformateur»
L’actualité politique en Tunisie est dominée par les dissensions internes au sein de la plus grande formation d’opposition : l’ex PDP aujourd’hui devenu « Al Joumhouri » (Parti Républicain). Des divisions inédites, a priori définitives, qui viennent briser une dynamique d’unification centriste que l’on pensait irrésistible. Nous avons interrogé l’une des principales figures montantes de cette opposition, directement concernée par cette crise : Yassine Brahim, secrétaire exécutif du fraîchement constitué Joumhouri.
Initiée au lendemain du constat de la cuisante défaite électorale de 2011 du camp démocrate – moderniste, puis concrétisée avec la fusion récente entre Afek Tounes et le Parti Démocrate Progressiste, la volonté d’union des forces d’opposition était vitale pour les progressistes tunisiens. Rendu indispensable pour contrer le rouleau compresseur Ennahdha et espérer une alternance prochaine, l’élan unificateur marque cependant aujourd’hui un brusque coup d’arrêt.
Une rébellion inattendue au cœur de l’ex PDP brouille les cartes depuis dimanche et remet en question le statut de plus importante force d’opposition du pays de la « kotla » démocratique, groupe parlementaire d’une trentaine d’élus à la Constituante, essentiellement issus d’AFEK, du PDM et du PDP, dont plusieurs ont claqué la porte du Joumhouri pour faire cavalier seul et former un nouveau parti, appelé pour l’instant « Mouvement Réformateur ».
Yassine Brahim, dans l’état des lieux qu’il a dressé de la situation de son parti, a d’abord tenu à minimiser l’ampleur des défections. « Sur 320 membres du comité central, il y a 30 départs », rappelle-t-il plutôt serein, même s’il déplore une « méthode radicale et improductive », alors que selon lui le « PDP, en parti historique traversé par des sensibilités diverses, aurait été suffisamment grand pour contenir tout le monde ».
Il insiste cependant sur le caractère hétérogène des motivations des séparatistes. Ils sont partis « pour des raisons complètement différentes les uns des autres ». Certains ont tenté de battre l’équipe dirigeante lors des élections du 5ème congrès, d’autres, nouveaux arrivants à l’image de Mehdi Ben Gharbia, ont semble-t-il obéi à des considérations plus personnelles d’ego et d’ambition politique.
C’est ce que regrette Yassine Brahim pour qui tout ceci se fait contre l’intérêt du pays en pleine transition démocratique. « Que veut donc réformer le Mouvement réformateur ? » conclut-il, ironique. Il prédit en somme aux frondeurs de se brûler les ailes : « la politique est un combat de longue haleine ».
Comment exister en dehors de l’islam politique ?
Pour nous être entretenus avec les jeunesses de l’ex PDP, aujourd’hui dans le camp de la rébellion, nous lui exposons leurs principales réserves : distanciation des leaders des thèmes du nationalisme arabe, et « positionnement trop frontalement anti Ennahdha ».
En clair, leur démarche semble non seulement identitaire mais verse dans un certain pragmatisme : une quasi amertume, a posteriori, de ne pas s’être allié à l’islam politique pour pouvoir exister, à l’image du CPR et d’Ettakatol, dans un paysage politique où le sécularisme reste tabou.
Il se murmure en interne que certains élus de l’ex PDP se seraient d’ailleurs rapprochés de la troïka au pouvoir.
Là-dessus, Yassine Brahim s’est montré ferme et récuse toute fatalité : « Nous sommes dans un paysage politique mouvant » en Tunisie. L’avance très nette d’Ennahdha sur ses concurrents est pour lui due principalement à l’implantation historique en réseau du parti islamiste qui lui conférait un avantage certain.
Comme pour démontrer une autre erreur d’appréciation de ceux tentés par un rapprochement avec l’actuel pouvoir, Yassine Brahim revient sur le bilan pour lui très peu flatteur d’Ennahdha et de l’équipe ministérielle actuelle qui « n’a pas montré d’aptitude convaincante dans la résolution des dossiers les plus importants de l’après révolution, revendications sociales en tête ».
Le Parcours personnel du jeune ex ministre des gouvernements « Ghannouchi 2 » et Essebsi est l’histoire d’une longue série de succès. Une success story tunisienne notamment à l’étranger où il créa et dirigea des entreprises de renommée internationale dans le domaine de la sécurité informatique.
Cela contraste forcément avec l’état peu enviable d’une opposition tunisienne aujourd’hui décimée par une succession de crises, allant jusqu’à remettre en cause son existence politique.
Yassine Brahim est l’archétype d’une jeune élite qui peut apporter du sang neuf à des partis qui peinent à se renouveler.
L’homme reste malgré tout confiant : « Nous ne sommes que 15 mois après la révolution. Il faut laisser le temps à ces partis de se structurer. Il nous reste à nous rapprocher du peuple. Ceux qui ont choisi la coalition gouvernementale se laissent diriger par Ennahdha. Nous sommes une troisième voie entre eux et les contre-révolutionnaires de l’ex régime. »
Une façon de préconiser la patience, seule vertu permettant de garder l’espoir d’une opposition forte d’ici un an, puis l’espoir d’une alternance démocratique au pouvoir.
Il condamne enfin en des mots durs le manque de volonté politique du nouveau pouvoir s’agissant de fixer une date aux prochaines élections. Une absence de visibilité néfaste aussi bien à la stabilité du pays qu’au militantisme politique en dehors du parti au pouvoir.
Deuxième partie de l’interview vidéo
Propos recueillis par Seif Soudani