Tunisie. Interview de Karima Souid, élue Ettakatol France Sud
Elle s’est distinguée à l’Assemblée nationale constituante par ses interventions courageuses et ses coups de gueule remarqués en faveur des droits des Tunisiens à l’étranger. Les Tunisiens ont découvert avec Karima Souid l’épineuse question linguistique que pose la représentation à l’ANC des Tunisiens de France. Quant à ceux-ci, ils ont trouvé en elle un soutien de poids et en ont fait, très vite, leur nouvelle coqueluche. Nous nous sommes entretenus en exclusivité avec celle que l’on appelle déjà l’égérie de la gauche francophone.
Deux incidents ont opposé Karima Souid respectivement à des élus d’Ennahdha et du CPR, ayant pour motif la même problématique de l’usage d’une autre langue que l’arabe littéraire à l’Assemblée, en l’occurrence le français et l’arabe dialectal tunisien. Dans le deuxième cas, cela a même donné lieu à une véhémente joute verbale face à un représentant du CPR, un parti dont on découvre de plus en plus le caractère nationaliste, ce qui reste une étrangeté puisqu’il se déclare, en théorie, de gauche.
Nous avons voulu savoir si, pour la jeune élue, ces crispations identitaires, toujours plus grandes, sont simplement à mettre sur le compte du populisme, ou si elles sont plutôt le résultat d’une méconnaissance de la question des spécificités, notamment linguistiques, des Tunisiens à l’étranger de 2ème et 3ème génération et des binationaux, des Tunisiens à part entière mais dont la langue est davantage subie que choisie.
Sur un ton plus conciliant cette fois, la jeune femme déclare qu’elle ose du moins espérer que cela relève d’une méconnaissance de la question. Elle rappelle par ailleurs que le sujet ne concerne pas uniquement les Tunisiens de l’étranger, mais également les Tunisiens issus de couples mixtes, les étrangers naturalisés tunisiens, ou encore les femmes étrangères mariées à des Tunisiens. C’est aussi un problème qui touche la génération née avant la généralisation de l’école républicaine, et en particulier les femmes (souvent non scolarisées à l’époque).
« Si on effectuait un bilan en Tunisie, nous pourrions constater que la maîtrise de l’arabe littéraire est malheureusement minoritaire, quasiment réservée à une élite, et que la grande majorité des gens se reconnaissent dans le dialectal tunisien », déplore-t-elle.
Quant aux attaques dont elle a fait l’objet, l’élue considère que ce n’est pas du populisme puisque c’est bien à une majorité de Tunisiens que l’on s’attaque, en refusant le dialectal : « J’ai bien peur que c’est d’un excès de zèle qu’il s’agit, plutôt que d’un quelconque calcul politicien. »
Néanmoins, « la question reste importante », ajoute l’élue, en invitant ce qu’elle appelle « les dogmatiques de l’usage de l’arabe littéraire » à lire l’ouvrage d’Ahmed Mouatassim, Arabisation et langue française au Maghreb. Le plurilinguisme propre à la région y est analysé, et il y est démontré que le français y a longtemps été un outil de sélection sociale. « Je comprends que cette langue puisse susciter autant de crispations dans une Tunisie qui se veut moins élitiste. Mais ce serait dommage de remplacer un outil de sélection par un autre », « il incombe aux politiques de réduire cette fracture linguistique », conclut l’élue, tout en énumérant quelque pistes pour solutionner ce problème.
Sur un autre volet, plus politique, lors de notre dernier entretien, Karima Souid avait déclaré à propos de la troïka majoritaire : « Avec le temps, si nous estimons que les autres partis de la coalition d’intérêt national ne respectent pas les principes de base ou se détournent des valeurs de la révolution, nous n’hésiterons pas à en sortir. » Nous avons voulu savoir si le fait qu’Ettakatol n’ait pas soutenu le gouvernement à dominante Ennahdha dans les récentes nominations à la tête des médias du secteur public, constitue une première brèche dans la coalition tripartite.
L’élue a d’abord récusé l’expression « à dominante Ennahdha », en rappelant que la coalition gouvernementale s’est constituée sur la base d’un programme commun, dont les priorités sont la problématique du chômage, la fracture sociale, la justice transitionnelle et la stabilisation de la situation sécuritaire du pays.
« Il y a un parti qui est sorti 1er des urnes de manière démocratique, et il est normal qu’il dirige l’équipe gouvernementale. Ceci dit, Ettakatol, en tant que parti, garde son indépendance, et ses positions sont claires. Nous serons très vigilants sur les questions de la démocratie et des libertés, comme ceux de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance des médias », prévient-elle.
Elle rappelle que son parti n’a pas manqué de réaffirmer cette position critique suite aux dernières nominations à la tête des médias du secteur public, « sans consultation des organismes concernés » : « Nous avons demandé au gouvernement de réexaminer ces décisions », révèle-t-elle, Ettakatol ayant donc joué un rôle central dans la reculade du gouvernement sur ce point, observée récemment.
A propos des dernières vagues de départ au sein d’Ettakatol, Souid a enfin déploré « tout départ d’un militant, quelles que soient les raisons évoquées ». Elle admet que le parti a « manqué à ses responsabilités lors de cette dernière période où il n’a pas été assez proche de ses électeurs », dans un mea culpa où elle développe les erreurs commises selon elle, sur le ton de l’introspection mais aussi du franc-parler qu’on lui connait.
Propos recueillis par Seif Soudani