Tunisie. Intervention étrangère en Syrie : Moncef Marzouki et Rafik Ben Abdessalem se contredisent

 Tunisie. Intervention étrangère en Syrie : Moncef Marzouki et Rafik Ben Abdessalem se contredisent

Rafik Abdessalem serait pour une intervention étrangère en Syrie

Cacophonie au sommet de l’état autour d’une intervention étrangère en Syrie. Le président de la République par intérim et le ministre des Affaires étrangères ont livré tour à tour des déclarations contradictoires qui inquiètent sur l’état d’une diplomatie tunisienne dont les violons nécessitent manifestement d’être accordés.

 

Moncef Marzouki et Rafik Ben Abdessalem ont tous deux été interrogés en début de semaine, respectivement par la BBC et le quotidien algérien Al Akhbar, sur des questions de géopolitique.

Une question commune aux deux interviews portait sur un sujet très sensible : l’éventualité d’une intervention étrangère pour mettre fin au conflit Syrien. Un conflit meurtrier qui a fait à ce jour plus de 5 000 civils, victimes de la répression militaire du régime de Bachar Al Assad, selon un dernier rapport de l’ONU.

Marzouki a clairement mis en garde contre toute velléité d’intervention étrangère, lui qui quelques jours auparavant se défendait d’être un nationaliste au micro de France Inter.

« Une telle intervention signifierait que la guerre va s’étendre à toute la région, ce qui ouvre la voie à implication de toutes les puissances régionales, à l’instar de la Turquie, d’Israël, de l’Iran et du Hezbollah. Toute la région imploserait », a prévenu le chef de l’Etat.

Il ajoute qu’il s’agirait là d’une hypothèse irréalisable » et d’un « suicide collectif », arguant que cela peut faire échouer la révolution syrienne qui se muerait potentiellement en conflit interconfessionnel.

Beaucoup moins tranchée, voire favorable en filigrane à une intervention extérieure, fut la réponse de Ben Abdessalem. C’est le secrétaire général de la Ligue arabe qui le premier avait soumis l’idée d’une telle intervention, à discuter la semaine prochaine au Caire.

Le nouveau chef de la diplomatie tunisienne n’y a pas été par quatre chemins : « Nous espérons que les Syriens trouvent une solution dans le cadre des négociations présidées par la Ligue Arabe. Mais au vu du contexte actuel, il nous semble nécessaire que la proposition du prince du Qatar soit discutée à la prochaine réunion. Et toutes les options sont encore sur la table, même si nous privilégions d’abord une solution qui passe par les pays voisins et la communauté des pays arabes. »

La déclaration passe mal dans les milieux souverainistes : cela implique en effet que la 3ème voie, à peine éludée par le ministre, est une intervention de la communauté internationale, typiquement via l’OTAN et un scénario à la libyenne.

 

Vers une diplomatie à deux têtes ?

En Tunisie, la politique étrangère est traditionnellement l’apanage du chef de l’Etat. Mais la donne a changé depuis que le pays a virtuellement évolué vers un système parlementaire voulu par les partis vainqueurs des élections de la Constituante, notamment le parti Ennahdha.

Un système où le gouvernement est le centre de l’exécutif mais où le président de la République garde une marge de manœuvre non négligeable en ce qu’il reste le chef suprême des armées.

Cela pose le problème d’une diplomatie à deux têtes, comme en témoigne cet épisode de passe d’armes, plutôt fâcheux en ce qu’il donne à voir une diplomatie tunisienne confuse, ce qui complique une communication gouvernementale déjà en crise.

Surtout, cela intervient dans le double contexte de lourdes suspicions d’influence grandissante du Qatar dans la région tout entière (son prince était récemment en visite controversée en Tunisie) et de diplomatie tunisienne attendue au tournant, en pays précurseur du printemps arabe.

Si la Tunisie entend renouer avec l’ère où elle se faisait le sage arbitre des conflits régionaux, la troïka au pouvoir serait bien inspirée d’accorder ses violons.

Seif Soudani