Tunisie. Interdiction de la manifestation du 2 juin, témoignage de l’organisatrice
Plus de 2000 personnes confirmées venant de plusieurs régions du pays, une campagne virale sur les réseaux sociaux depuis une semaine, et à l’arrivée une douche froide : le ministère de l’Intérieur vient d’interdire via un communiqué publié aujourd’hui vendredi la marche du samedi 2 juin intitulée « Le jour de la colère ». Son objectif était de protester contre l’immobilisme des autorités face à la multiplication des violences salafistes. Nous avons contacté la principale organisatrice de l’évènement, Fatma Ghorbel Ben Lassoued, secrétaire générale de l’association Femmes et Dignité.
Hier jeudi, nous recevons une invitation de dernière minute à une conférence de presse du ministre de l’Intérieur Ali Laârayedh. Il y a tenu à rappeler que l’état d’urgence était encore en vigueur et que les marches non autorisées, qui s’en prennent de surcroît aux institutions et bâtiments de l’Etat, rencontreraient dorénavant une tolérance zéro, « quitte à recourir aux tirs à balles réelles.»
L’avertissement, le premier dans son genre depuis la révolution, est perçu par la presse comme un double message : adressé aux salafistes violents en premier lieu pour couper court aux suspicions de bienveillance du pouvoir, mais aussi aux manifestants tentés de répondre d’une façon insurrectionnelle au laxisme du gouvernement.
S’ensuit ce matin une interdiction en bonne et due forme de la grande manifestation de demain samedi, à la grande surprise des organisateurs qui avaient pourtant annoncé que tout avait été préparé dans les règles de l’art, preuve à l’appui (le document de la décharge de la demande officielle datée du mardi 29 mai, soit avant les 72 heures réglementaires).
Contactée par nos soins par téléphone, Fatma Ghorbel se dit très étonnée par ce qu’elle suggère être de la mauvaise foi de la part des autorités qui prétendent aujourd’hui ne pas avoir reçu de notification légale :
« J’ai moi-même déposé cette demande dont j’ai reçu une décharge du ministère de l’Intérieur qui m’a ensuite orientée vers la préfecture de police de Bab Bhar. Là on m’informe que cela ne sera pas possible le 2 juin parce qu’un évènement sur l’itinéraire de notre marche (Avenue Habib Bourguiba) a déjà reçu une autorisation : un festival pour enfants devant le Théâtre municipal. Je demande alors un changement d’itinéraire, Avenue Mohammed V. Nouveau refus. Lorsque je demande la Kasbah, on me rétorque qu’une autre manifestation y est déjà prévue pour réclamer les indemnisations financières de l’amnistie générale. Pied au mur, je me résigne à changer la date au 3 juin, malgré le contretemps que cela engendrerait par rapport à tous ceux qui ont déjà pris des dispositions pour venir de loin. Là on me dit qu’une autre manifestation pour enfants est déjà prévue dimanche… Je comprends alors qu’il ne sert à rien d’insister ».
Vers un 9 avril bis ?
La colère gronde sur les réseaux sociaux. Jaouhar Ben Mbarek, coordinateur du réseau Doustourna, dénonce un démantèlement méthodique des acquis de la révolution.
Des activistes appellent à manifester en passant outre l’interdiction. Fatma Ghorbel nous a également informé qu’un point presse sera donné demain samedi 11h00 au cinéma Le Mondial à Tunis par son association et les nombreux autres organismes co-organisateurs de la marche avortée.
Le 9 avril dernier, une manif à l’occasion de la fête des Martyrs avait tenté de marcher sur l’Avenue Bourguiba alors interdite aux manifestations. Sa répression particulièrement sanglante avait provoqué un tollé général et une première crise au sein du gouvernement provisoire.
Divisés, les démocrates n’arrivent décidément pas à parler d’une seule voix en Tunisie. Tout porte à croire en effet que ce nouveau revers est dû en partie au manque de coordination, en amont, dans l’organisation d’une réponse plus unifiée des composantes de la société civile face à la discipline du camp obscurantiste.
Seif Soudani