Tunisie – Hechmi Hamdi ou le télévangélisme politique

 Tunisie – Hechmi Hamdi ou le télévangélisme politique

Hechmi Hamdi a converti sa chaîne de télévision par satellite Al Mustaquilla en tribune électorale.

Une propagande télévisuelle non-stop, une personnalité haute en couleurs, et à l’arrivée, un succès populaire auprès de la Tunisie profonde : Hechmi Hamdi a tout d’un télévangéliste tunisien. L’air de rien, le leader de la « Aridha chaabya » (Pétition populaire), véritable ovni politique, aura raflé la mise avec un hold up électoral de 19 sièges à la Constituante. Même après invalidation de 6 de ses listes pour irrégularités de financement, sa liste indépendante est élue 4ème force politique du pays. Voici quelques éléments de réponse pour un triomphe non annoncé.

Personne n’avait pris sa candidature au sérieux. Du moins à Tunis. C’est que Mohamed Hechmi Hamdi, homme d’affaires natif de Sidi Bouzid, s’était constitué au fil de ses 20 ans d’exil britannique à Londres une solide base populaire dans sa ville natale berceau de la révolution, et au-delà.

Son parcours fait de lui l’archétype de la collusion méconnue, mais bien réelle à une certaine époque, entre la droite autoritaire benaliste et la droite religieuse d’Ennahdha. Cet ex nahdhaoui, resté vaguement islamiste mais devenu RCDiste par sens du business, ne cachait plus ces dernières années sa proximité avec l’ex président Ben Ali qu’il se targuait d’avoir régulièrement au bout du fil.

Jouant volontiers de ses origines et cultivant sciemment une image de paysan parvenu (l’homme est milliardaire grâce à ses affaires dans les pays du Golfe), le fondateur de la chaîne de télévision par satellite Al Mustaquilla a fait de ce support télévisuel, avant de le convertir récemment en tribune électorale, un hymne à sa gloire des plus grotesques, 24 heures sur 24.

Le télévangélisme, arme politique populiste mais redoutable

Ceux qui enquêtent encore sur le mystère Hamdi et l’efficacité suspecte de sa campagne en oublient probablement l’essentiel et le plus évident : son omniprésence télévisuelle. Là où les chefs d’autres partis se bousculaient pour des spots de 2 minutes sur la chaîne nationale (peu regardée en dehors des JT d’infos), le magnat de la TV jouissait d’un média qui touchait en boucle des milliers de spectateurs hypnotisés par son style burlesque, de la ménagère de moins de 50 ans, aux jeunes chômeurs tentés par ses promesses mirobolantes, en passant par les maisons de retraite où son show était devenu le programme favori des gens du 3ème âge.

Si le prédicateur égyptien Amrou Khaled, à la manière des télévangélistes américains à la limite de l’escroquerie, vous promettait le paradis céleste au bout d’un numéro de téléphone surtaxé, Hamdi, dans le même style emphatique, proposait mieux encore : la gratuité des transports pour les plus âgés, des soins gratos pour tout le monde, et même 200 dinars tunisiens d’indemnité de chômage. De quoi continuer à regarder oisivement sa chaîne en toute tranquillité.

Et peu importe si le procédé est déloyal : rien n’est trop machiavélique pour satisfaire l’égo surdimensionné du mégalomane tuniso-britannique qui se voit déjà au Palais de Carthage. Il l’a même promis à ses téléspectateurs : il ne rentrera en Tunisie qu’une fois élu président.

Une aptitude à la versatilité

L’une des clés du succès inattendu de l’apprenti sorcier Hachmi Hamdi, c’est une capacité à évoluer en fonction de la demande. En juillet 2011, il fondait le parti au nom délicieusement ubuesque de Parti Conservateur Progressiste. Un oxymoron dont il a le secret !

Mais devant le désamour des Tunisiens pour les partis politiques en « iste », trop déconnectés de leurs préoccupations principalement économiques, il fait rapidement de ce parti une sorte de société écran pour ses activités politiques sur le terrain, activités opaques qu’il conduit sous une autre dénomination : la Pétition populaire pour la liberté, la justice et le développement.

Là aussi le nom de sa liste officielle a une résonnance qui ne doit rien au hasard. S’inspirant ouvertement de l’AKP turc, parti islamiste « pour la Justice et le Développement », il surfe sur ce phénomène à la mode d’un islam politique qui ne dit pas son nom, préférant mettre en avant l’aspect « parti d’entrepreneurs ».

Nul doute que le nouveau trublion de la scène politique tunisienne n’a pas fini de faire parler de lui. Suite à l’invalidation de ses listes dans six circonscriptions, principalement pour non-respect des délais de campagne officielle et pour avoir présenté des candidats anciens responsables du RCD (ex parti au pouvoir dissout), lui faisant perdre 8 élus au profit des autres listes12, Hamdi a dans un premier temps annoncé dans la foulée de ce camouflet le retrait de ses autres listes, avant de se rétracter en décidant de présenter des recours en vue de la réhabilitation des listes bannies.

S’il obtient gain de cause, la mauvaise blague qu’il est pour beaucoup deviendrait alors la 3ème force politique du pays, achevant de facto la droitisation de la Tunisie qui verrait à sa tête un trio nationalo-conservateur Ennahdha – CPR – Aridha.

Seif Soudani