Tunisie. Hamadi Jebali sort de son silence mais peine à convaincre
Dans un long discours de plus d’une heure, le chef du gouvernement Hamadi Jebali a présenté son tant attendu programme économique et social hier jeudi devant les élus de la Constituante. L’opposition a rapidement dénoncé un retour aux effets d’annonce, d’autant que sur le plan politique, le gouvernement Jebali cultive toujours un certain flou sémantique. (Photo AFP)
Il l’avait promis et se savait attendu au tournant. Lors du vote sur la loi des finances 2012, le Premier ministre avait conditionné la présentation d’un programme gouvernemental plus détaillé que les grandes lignes des professions de foi politiques à la finalisation de la loi complémentaire des finances.
Ce fut chose faite, avec quelques semaines de retard : une feuille de route plus consistante fut exposée hier aux Tunisiens. Jebali y a pris soin de hiérarchiser en deux catégories le plan de travail de son équipe, entre mesures urgentes et tout le reste.
L’urgence, ce sont d’abord les régions, la décentralisation, les plus démunis, l’emploi, « la guerre contre la vie chère », la lutte contre la corruption (dossier des victimes de l’ex régime inclus), et la sécurité « dans toutes ses dimensions ».
Rien de bien nouveau sous le soleil, diront ses détracteurs.
Une énième déclaration de bonnes intentions ?
Quels moyens le gouvernement se donne-t-il pour réaliser enfin concrètement tant de promesses ? « Je ne vois pas très bien », ironisait dans la foulée du discours Iyed Dahmani, élu de l’opposition (Parti Républicain).
« Finalement, ce fut une confirmation de ce que nous autres les saboteurs de mauvaise foi disions depuis 3 mois », poursuit Dahmani, faisant allusion à la propre évaluation de Jebali de ses 100 premiers jours à la Kasbah.
Ce dernier a en effet pris à contrepied l’opposition en se livrant hier à un diagnostic alarmiste de l’actuelle situation économique et sécuritaire du pays, 4 mois après son arrivée au pouvoir. Une façon de donner raison à ses détracteurs, mais aussi sans doute de relativiser tout futur échec potentiel, au vu de l’ampleur de la tâche qui l’attend.
Il a du reste nuancé son propos en qualifiant de « destruction massive » la situation dont il a héritée, « deux décennies de dilapidation de l’argent public », a-t-il insisté.
La tonalité du discours se fait plus grave et solennelle lorsqu’il s’est agi d’évoquer l’état des libertés. C’est un point rassurant : Jebali s’est fermement engagé à « préserver la liberté de conscience, d’expression et de pensée ».
Un volet politique polémique
Dans tous les esprits lors de la séance plénière d’hier, la date des futures élections législatives n’a été évoquée que d’une manière pour le moins imprécise. Pendant son discours, si un graphique affichait la date du 20 mars 2013, Hamadi Jebali a botté en touche en se contentant de parler de « l’horizon été 2013 », tout en affirmant que la question était plutôt du ressort de l’Assemblée.
Or, sa propre majorité tarde à proposer une loi allant dans ce sens, laissant conclure de nombreux observateurs à un cruel manque de volonté politique, voire au souhait délibéré de gagner du temps.
Par ailleurs, cela fait quelques mois que le gouvernement dominé par Ennahdha subit des critiques quant au mystère entretenu autour du devenir de l’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE). Hier, Jebali avait là aussi l’occasion de trancher, politiquement, sur le sort de cette entité.
Une fois de plus la réponse politique fut vague : remerciés pour leurs services rendus au pays, les membres de l’ISIE devront repasser par une approbation de l’Assemblée dont on peut penser qu’elle sera tentée de les remplacer. Dans le meilleur des cas, cela se fera selon une configuration qui « sied à la nouvelle donne » évoquée par Jebali.
Même opacité s’agissant de la tenue prochaine ou non d’élections municipales, au mépris de ce qui est pourtant annoncé dans la loi de l’organisation provisoire des pouvoirs publics.
La justice transitionnelle fut enfin la grande absente du discours. Ce silence sur un aussi gros dossier de l’après révolution est-il voulu ? Arrange-t-il le parti au pouvoir ? C’est ce que pensent des voix qui s’élèvent dans l’opposition pour dénoncer une « méthode du chantage ».
« Investissez maintenant, et nous passerons l’éponge sur les méfaits du passé », semblent indiquer certains décideurs d’aujourd’hui aux hommes d’affaires impliqués dans des malversations de l’ère Ben Ali. Plusieurs témoignages dans les médias locaux parlent satiriquement de « machine à laver Ennahdha » qui laverait les repentis de leurs péchés.
Reste que malgré le ton consensuel du « tout le monde est appelé à participer », les signes affichés de bonne volonté en direction de l’opposition, ainsi que les gages donnés à la société civile de la faire participer à la mise en œuvre du programme gouvernemental, celui-ci restait abscons au terme d’un discours qui a peu convaincu.
Seif Soudani