Tunisie. Hamadi Jebali : « Seules les urnes peuvent décider de ma démission »

 Tunisie. Hamadi Jebali : « Seules les urnes peuvent décider de ma démission »

« Je ne démissionnerai pas même si 1 million de personnes descendent demain dans la rue»


Importée en Tunisie, la tradition du bilan des 100 premiers jours de gouvernance continue de nuire à l’image de volontarisme affichée par le gouvernement Jebali. Dans un entretien accordé à la chaîne Alarabiya à cette occasion, le Premier ministre a tenté de défendre son action, mais l’exercice fut fastidieux, tant le bilan résiste mal à l’épreuve des faits. (Photo AFP)




 


Hamadi Jebali reconnaît volontiers que le quotidien des Tunisiens est « encore plus difficile aujourd’hui » qu’avant la révolution. Il se dédouane cependant d’une réelle responsabilité en imputant cela à deux raisons essentielles : une perception biaisée de l’opinion publique, qui ne voit pas immédiatement selon lui les progrès réalisés, et le fait que son gouvernement n’a pas encore présenté son programme à l’Assemblée à ce jour, faute de loi sur le budget, elle-même en attente d’une loi complémentaire qui tarde à venir.


Réagissant à l’actuelle crise politique causée par les nominations controversées de gouverneurs issus d’Ennahdha, Jebali adopte l’attaque pour toute défense. Pas un mot sur l’appartenance politique des nouveaux gouverneurs, qui constitue pourtant le fond du problème s’agissant de la neutralité de l’administration. Le chef du gouvernement n’évoquera que la compétence supérieure des profils retenus, « seule motivation » des nominations incriminées. 


Autre sujet brûlant d’actu, à propos de l’auteur de la profanation du drapeau national toujours en liberté, le Premier ministre s’auto disculpe là aussi : « Il n’est pas simple d’arrêter quelqu’un qui jouit d’une popularité dans son quartier ainsi que du soutien d’un groupe idéologique », prétexte-t-il pour justifier les lenteurs d’un appareil policier pourtant mondialement réputé pour son efficacité.


 


Vers un état de déni sur la question salafiste ?


S’il donne l’impression de botter en touche en permanence, lorsqu’il s’est agi de répondre à l’épineuse question de la menace salafiste, on peut se demander si Hamadi Jebali n’est pas plus simplement dans le déni.


« Je ne veux pas utiliser d’étiquettes », lance-t-il, en interrompant la question du journaliste d’Alarabiya.  « Nous avons-nous-mêmes (Ennahdha) souffert de ces qualificatifs, on nous a traités de rétrogrades, d’islamistes, d’obscurantistes, de salafistes, d’extrémistes, etc. », poursuit-il.


« Comment voulez-vous donc les appeler ? », ironise le journaliste. « Ces gens sont des Tunisiens », rétorque Jebali, « nous sommes en démocratie, ils ont le droit de s’exprimer et la liberté de s’organiser comme tous les Tunisiens. Le seul problème est qu’ils recourent à la violence ».


Ici se trouve sans doute la ligne qui sépare progressistes et conservateurs. Jebali, en n’évoquant que le strict aspect sécuritaire et légal, évite de traiter du caractère violent du discours salafiste en lui-même, du projet de société qui y est véhiculé.


Même s’il est question de volonté manifeste d’apaisement, le tabou de la répression des idéologies extrêmes semble tel en Tunisie qu’on nie désormais au plus haut niveau de l’Etat le caractère fasciste, xénophobe ou extrémiste de certains groupes religieux, en préférant parler de simples délits quand ils ont lieu.


Selon un sondage Sigma – Maghreb à paraître aujourd’hui, 86% de Tunisiens considèrent que le gouvernement a échoué dans la lutte contre le chômage, 75% dans la lutte contre la corruption, 90% dans la lutte contre la cherté de la vie. 70% considèrent que les Tunisiens sont aujourd’hui plus divisés.


Répondant à une question sur la grogne sociale de plus en plus sonore, Jebali dira sur le ton de la défiance : « Je ne démissionnerai pas même si 1 million de personnes descendent demain dans la rue. Je ne démissionnerai que si je suis battu dans les urnes ».


Une déclaration qui à la lumière des récentes nominations à la tête des autorités locales, électoralistes selon beaucoup d’analystes, fait craindre un enlisement des conflits sociaux et un pas de plus vers la désobéissance civile.


Seif Soudani