Tunisie. Guerre ouverte entre les pouvoirs exécutif et judiciaire

 Tunisie. Guerre ouverte entre les pouvoirs exécutif et judiciaire

La juge Raoudha Laâbidi


Le gouvernement Jebali va décidément de crise en crise. En pleine tourmente politico-sécuritaire, l’exécutif a décidé de s’attaquer à la réforme du secteur judiciaire promise depuis son accession au pouvoir. Est-ce la bonne conjoncture pour s’atteler à un dossier aussi épineux de l’après révolution ? Assurément non pour le Syndicat des Magistrats Tunisiens qui a immédiatement contre-attaqué par une grève ouverte sans précédent. Sa présidente Raoudha Laâbidi réagit en exclusivité au micro du Courrier de l’Atlas à la révocation de 82 magistrats.




 


La nouvelle tombe comme un couperet samedi 26 mai. Pas moins de 82 magistrats sont congédiés sans ménagements par le ministère de la Justice qui a dressé sa propre liste noire. Le limogeage prend effet dès lundi 28 mai. Une décision annoncée par un bref communiqué qui surprend les médias et le corps concerné.


Contrairement aux apparences, Noureddine Bhiri, ministre de la Justice, en optant pour cette méthode controversée, a moins voulu faire dans la brutalité que dans la discrétion. Ce n’est en effet qu’aujourd’hui mercredi que la liste des juges en question a été divulguée via des fuites dans la presse. L’anonymat prôné dans un premier temps a donné l’impression d’une mesure hésitante, sanctionnant d’un côté, mais épargnant la disgrâce publique de l’autre.


 


Le SMT sonne la révolte  


C’est précisément la forme verticale que prend la réforme que fustige la charismatique juge Raoudha Laâbidi, présidente du très réactif Syndicat des Magistrats Tunisiens.


Lorsque nous la rencontrons dans son bureau au Palais de Justice de Tunis à Bab Bnet, c’est le branle-bas de combat : une grève générale ouverte vient d’être décrétée par le syndicat « jusqu’à ce que le ministère revienne sur sa décision ».


La petite pièce est transformée en cellule de crise. Des magistrats s’y bousculent entre deux entretiens avec la TV nationale. L’ambiance est électrique, mais Laâbidi est détendue. « La force tranquille de ceux qui défendent une cause juste », commentent ses collaborateurs. 


Ce n’est pas seulement une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, rappelant l’ère Ben Ali, qu’elle dénonce. C’est aussi le fait que l’on prive le peuple tunisien de ce qui aurait eu valeur de thérapie de groupe : des procès en bonne et due forme, traduisant devant leurs pairs les juges soupçonnés de corruption et de collusion avec l’ancien régime.


 


Cafouillages au sommet de l’Etat


Autre membre fondateur du SMT, le magistrat Taha Chebbi a voulu nous rappeler que le malaise entre ses confrères et le gouvernement de la troïka ne date pas d’hier.


Dès le mois d’avril, le conseil exécutif de son syndicat appelait à accélérer l’adoption de la loi portant sur la création d’une instance provisoire censée remplacer le Conseil Supérieur de la Magistrature, en le mettant au premier rang des priorités à l’ordre du jour de l’Assemblée constituante.


Pour lui, « ces lenteurs traduisent un état d’esprit dominé par l’hésitation », nous a-t-il expliqué dans un entretien téléphonique.


Comme pour conforter cette thèse et calmer les esprits, il se dit aujourd’hui que Hamadi Jebali n’a rien signé pour l’instant, et qu’il statuera personnellement sur chaque cas.


Reste un motif de réjouissance pour l’exécutif : le corps de la magistrature en Tunisie est un corps divisé. L’Association des Magistrats Tunisiens (AMT), l’autre important syndicat des juges, continue de souffler le chaud et le froid, soutenant la grève hier, mais précisant aujourd’hui via Kalthoum Kennou qu’il n’émettra quant à lui aucun préavis de grève. 


Quelques irréductibles soutiens du pouvoir ont annoncé sur les pages islamistes un rassemblement de soutien au ministre de la Justice vendredi devant le Tribunal de première instance de Tunis.


Si l’assainissement du secteur judiciaire était bien l’une des demandes de la révolution, son exécution nécessite un gouvernement jouissant d’une légitimité forte. Or, empêtré dans une gestion laborieuse des dossiers économiques et sécuritaires, le gouvernement transitoire, en entamant pareil chantier alors qu’il est vulnérable et de moins en populaire, s’expose à une défiance de trop.  


Seif Soudani